« Soleil vert » est le titre français du film d’anticipation dystopique « Soylent green » tourné par Richard Fleischer en 1973, lequel projetait ses spectateurs cinquante ans dans le futur, en 2022.
Et 2022, c’est maintenant !
Nous avons revu ce film, diffusé par ARTE, il y a quelques semaines.
Il y a 20 ans, la Lettre n°43 d’avril 2001 avait analysé le film de Stanley Kubrick sorti en 1968 « 2001 a space odyssey » en comparant les réalités de 2001 aux prévisions de 1968. Nous poursuivons cet exercice en dressant un panorama de 2022 tel qu’il était perçu en 1972.
La source
Ce film est inspiré d’un roman « Make room! Make room! Faites de la place (1966) » de l’écrivain américain Harry Harrison, lequel insistait sur la surpopulation qui, à l’approche du XXIe siècle, menacerait l’équilibre social et économique de l’humanité.
Le titre
« Soylent » est la contraction de soybean lentil (soja lentille) nom d’un nutriment, fabriqué par la firme homonyme, à partir de ces deux végétaux.
Synopsis
Une enquête policière, visant à élucider la mort mystérieuse d’un riche homme d’affaires, se déroule en 2022, dans un New-York (mégapole de 44 millions d’habitants) caniculaire, en pénurie de ressources alimentaires.
Cette intrigue est un fil conducteur qui traverse les différents aspects de cette société :
- les luxueuses résidences des nantis ;
- la condition féminine : les femmes entretenues sont des « furnitures » (biens mobiliers en français) qui changent de propriétaire à chaque déménagement ;
- les rues grouillantes de foules affamées ;
- les halls et les escaliers d’immeubles, abris des sans-domicile ;
- la concentration de la misère dans des hospices ;
- les centres d’euthanasie destinés à ceux qui renoncent à survivre dans cet enfer ;
- l’usine où l’on fabrique les tablettes nutritives ;
jusqu’à la tragique révélation finale.
Note : la firme Rosa Foods diffuse depuis 2013 un produit alimentaire qui porte le nom Solyent en clin d’œil à ce film mythique.
Le contexte de 1972
Le thème de la pollution perce l’actualité ; c’est la naissance des premiers mouvements écologistes. Le Club de Rome vient de publier « Les limites de la croissance ».
« Soleil vert » s’intègre parfaitement dans ce contexte anxiogène. Le film ajoute aux menaces de surpopulation, d’autres thèmes mortifères comme l’euthanasie et le cannibalisme.
2022, selon les prévisions de 1972
Le climat
La surproduction industrielle a saccagé la terre en épuisant ses ressources, en empoisonnant ses sols et en polluant son air. On étouffe dans les rues d’une métropole grise, enfumée et surpeuplée.
La pénurie de ressources alimentaires
Les habitants appauvris, ne pouvant accéder aux aliments naturels, en sont réduits à se nourrir de tablettes carrées colorées produites à partir du plancton marin, par l’entreprise Soylent Industries. La firme annonce un nouvel aliment, le Soylent Green beaucoup plus nutritif.
La nostalgie du monde d’avant
Les personnages évoquent le bon vieux temps – qui est encore un peu le nôtre, en 2022 – ils éprouvent un instant de rare bonheur en croquant une pomme et en dégustant une gorgée de whisky.
Les classes sociales
Les écarts entre les riches et les pauvres se sont accrus. Contraste entre les luxueux appartements des riches et les petits appartements des classes moyennes, dont les escaliers sont encombrés de vagabonds.
Tandis que les nantis continuent à profiter des dernières productions naturelles : viandes, fruits, confitures, les moins favorisés se nourrissent de tablettes de différentes couleurs prétendument fabriquées à partir de plancton marin.
Tandis que les riches évoluent dans des domiciles baignés de lumière, les autres pédalent pour produire l’électricité de leur éclairage.
Le maintien de l’ordre
Les forces gouvernementales protègent cette situation de classe et maintiennent le calme par une brutale répression des contestations. En cas de mouvements populaires, provoqués par la pénurie de tablettes nutritives, les bulldozers remplacent les charges de policiers.
Des nervis, dotés d’armes de poing, n’hésitent pas à éliminer physiquement ceux qui cherchent à identifier les responsabilités de cette situation.
Les prévisions cinquantenaires avérées
Le réchauffement climatique
n’est plus une fiction. C’est une chaude réalité.
La raréfaction des nourritures naturelles
conduit à des nourritures industrielles,
à partir de matières premières d’origine douteuse.
Les écarts de niveau de vie
entre une minorité de privilégiés
et une cohorte de défavorisés s’accroît.
Collusion entre industrie et politique
La presse satirique dénonce parfois des collaborations entre les dirigeants des entreprises industrielles
et les responsables politiques.
Les lacunes
La technologie
Cette fable n’intègre pas les évolutions technologiques déjà largement engagées en 1973. L’informatique est réduite à la brève apparition du premier jeu vidéo commercialisé en série (Computer Space, créé en 1971 par Nolan Bushnell) offert à un « meuble ».
Les moyens de communications étaient restés ceux de 1972.
Malgré la situation catastrophique de cette fiction, l’univers aurait cependant échappé à notre « enfer numérique » (ouvrage de Guillaume Pitron) !
L’usine de production de tablettes est automatisée sans que l’on insiste sur les technologies de la chaîne de production.
La ségrégation
Le clivage des classes sociales s’est accentué ; mais la couleur de peau ne semble plus être le critère majeur : le policier blanc communique avec son supérieur noir… par téléphone public (nostalgie de nos cabines disparues).
L’horrible « pot aux roses »
La scène finale révèle que les cadavres humains constituent la matière première des tablettes alimentaires.
Quelques anecdotes sur les acteurs
Charlton Heston (le policier Thorn) a ensuite pris la tête de NRA (National Rifle Association).
Edward G Robinson (son collègue et ami Sol Roth) se savait condamné par un cancer en tournant ce dernier film dans lequel il subit une euthanasie euphorisante où l’on lui projette de belles images de l’ancienne nature. « Les hommes ont toujours été moches, mais seulement le monde était beau » déclare-t-il .
Coïncidence : Dans le film « les Dix Commandements » tourné en 1956 (15 ans avant Soleil Vert) Charlton Heston jouait Moïse et Edward G Robinson, le traître Dathan.