Artificial intelligence, Intelligence artificielle, AI ou IA
De quoi parle-t-on ?
Au-delà de leurs convergences sur de nombreux aspects de l’IA, deux brillants représentants de notre culture scientifique française qui ont, tous deux, exercé leurs talents dans la Silicon Valley californienne, expriment des opinions sensiblement divergentes quant à l’avenir de l’IA.
- Luc Julia affirme que l’intelligence artificielle n’existe pas.
- Yann Le Cun est persuadé que la machine dépassera prochainement l’intelligence humaine.
Acte de naissance
Le terme « Artificial intelligence » a été créé en 1956 lors d’une conférence au Dartmouth College.
L’un des participants, John Mc Carthy, a convaincu son auditoire de désigner par « Artificial Intelligence » leur domaine de recherche, encore très embryonnaire à cette époque.
Écart sémantique
Le mot anglais « Artificial » trouve une équivalence satisfaisante dans le mot français « Artificiel » : produit par l’activité et l’habileté humaines (en opposition à naturel).
En revanche, le mot français « Intelligence » recouvre un champ plus large que celui du mot anglais.
- En anglais, le mot « intelligence » cible une faculté de recueillir et d’exploiter des données : par exemple, la CIA (Central Intelligence Agency) est une agence états-unienne qui collecte les renseignements indispensables à la protection de ses intérêts ;
- tandis qu’en français, le mot « intelligence » désigne la faculté de l’esprit humain de percevoir, de raisonner et de créer.
L’« intelligence » française englobe l’« intelligence » anglaise en la complétant par des facultés essentiellement humaines :
- compréhension d’une situation (fait et environnement) ;
- raisonnement (analyse et comparaison des actions possibles) ;
- création des conditions nécessaires d’adaptation à cette situation.
En français, le sigle IA est-il l’abréviation de l’expression française « Intelligence artificielle » ou la traduction du sigle anglais AI ?
Cette différence sémantique est la source d’une grande confusion.
- Une IA est capable d’utiliser les coordonnées téléphoniques d’un correspondant humain, de soutenir un dialogue convenu, mais il lui est difficile de nourrir une conversation cohérente en fonction des réactions spontanées et imprévisibles de son correspondant.
- Une IA aurait été incapable de découvrir, seule, le principe de la gravitation universelle, en comparant la chute d’une pomme au mouvement de la terre autour du soleil.
Faute de mieux, nous utiliserons le sigle « IA » pour désigner le corpus de cette nouvelle technologie.
« L’Intelligence artificielle n’existe pas » — Luc Julia
Luc Julia, cocréateur de Siri (en collaboration avec Adam Cheyer) est actuellement Directeur scientifique chez Renault.
Les performances de chaque IA spécialisée sont certes supérieures à celles des humains dans chaque domaine clairement délimité, comme dans les jeux de stratégies (échecs, Go…).
Le jeu de GO offre un nombre fabuleux de combinaisons (entre 10200 et 10600). Dans la partie qui l’oppose aux joueurs humains, AlphaGo utilise 2000 ordinateurs et consomme 440 kW alors que le cerveau de son adversaire humain ne consomme que 20 W !
Mais ces IA sont cloisonnées ; elles n’ont aucune perception de l’ensemble de leur environnement.
L’analyse critique des résultats de ChatGPT (Generative Pretrained Transformer) indique qu’un tiers des réponses sont inexactes. L’outil puise ses données (intelligence au sens anglais) dans des sources numériques qui contiennent de nombreuses erreurs involontaires (omissions, imprécisions… ) voire volontairement orientées par des sources partisanes.
L’outil apporte une aide appréciable ; il ne faut pas l’interdire mais le contrôler.
Luc Julia est très sceptique quant à l’utilisation de voitures autonomes totalement autonomes : actuellement au niveau 3, nous arriverons au niveau 4 mais sûrement pas au mythique niveau 5 (autonomie totale).
Imaginez une voiture autonome dans la foire d’empoigne à 18h à la Place de l’Étoile !
« Quand la machine apprend » — Yann Le Cun
Yann Le Cun, lauréat du prix Turing 2018, Directeur à Meta (ex Facebook) est l’un des inventeurs du « deep learning » (apprentissage profond), qui grâce à un réseau de neurones artificiels dont l’architecture et le fonctionnement s’inspirent du cerveau.
Yann Le Cun prévoit la prochaine émergence d’une véritable intelligence au sens français : l’IA dépassera le potentiel des cerveaux humains.
Une IA peut déjà créer des œuvres artistiques (musique, beaux-arts) ; peut-on penser qu’elle pourrait avoir une conscience, dans un futur plus ou moins proche ?
Certes, les outils tels ChatGPT n’ont actuellement aucune compréhension de leur environnement. Mais, Yann Le Cun pense qu’à terme, l’IA compensera, par une accumulation de données textuelles, la faiblesse de son raisonnement.
La constitution de gigantesques réseaux de neurones dépasserait une capacité d’apprentissage analogue à la capacité neuronale de l’être humain qui dispose de 86 milliards de neurones. (Vous pouvez vérifier !).
La machine apprend ; elle apprend par elle-même.
Au-delà de la traditionnelle exécution des ordres d’un programme,
la machine acquiert désormais les capacités nécessaires pour accomplir des tâches que l’on croyait éternellement réservées à l’humain : reconnaissance de formes, de voix, d’images, conduite automobile, traduction de langues, détection des tumeurs…
Incidences politiques et sociétales
Quelques contributeurs, craintifs ou prudents, souhaitent observer une pause dans le développement des outils liés à l’IA.
Asservissement des populations humaines
L’IA pourrait-elle prendre le contrôle de notre civilisation, en imposant à la population humaine, une obéissance passive ?
Yann Le Cun distingue :
- l’intelligence,
- de la volonté de prendre le pouvoir et de dominer : il pense que la machine n’aura pas la volonté de dominer.
Dans un avenir proche, chaque humain, déjà utilisateur permanent de son smartphone, pourrait disposer de l’assistance d’une IA qui amplifierait sa propre intelligence… sans la dominer ?
Peut-on s’affranchir des mythes de Fritz Lang (1927) Metropolis et de Stanley Kubrick (1969) L’odyssée de l’espace ?
Destruction d’emplois
L’IA risque-t-elle de supprimer des emplois ?
L’IA dispense l’homme de l’exécution fastidieuse de tâches répétitives. Elle réservera à l’être humain la mission plus valorisante, car plus délicate, de pilotage. Nous pourrons limiter le risque de destruction d’emplois en accompagnant le déplacement des emplois humains vers des missions d’encadrement.
En guise de clôture
Il y a une trentaine d’années, j’ai entendu cette phrase
« Il sera quand même plus facile d’abrutir les humains que de rendre les machines intelligentes »
Cette prévision, brute de décoffrage, était-elle une boutade humoristique ou une vision prémonitoire ?
Nous n’aborderons pas le débat crucial : « Une machine pourrait-elle avoir sa propre conscience ? »