L’enfer numérique

L’ouvrage

Ma lecture de l’ouvrage de Guillaume Pitron « L’enfer numérique – Voyage au bout d’un like » – Éditions LLL  (Les Liens qui Libèrent) septembre 2021 – a été complétée par la consultation de quelques récentes vidéos postées sur YouTube.

Un enquêteur

Guillaume Pitron est journaliste : enquêteur sur les terrains, conteur, reporter. Cet ouvrage fait suite à « La guerre des métaux rares : la face cachée de la transitions énergétique et numérique ».

Un titre brutal et provoquant

L'enfer numérique 1

L’Enfer est, selon les religions,
un état de souffrance extrême
du corps
et de l’esprit,
en punition
des péchés commis antérieurement.

 

L'enfer numérique 2Le titre d’une récente conférence de Guillaume Pitron

« Quand le numérique détruit la planète »

associe l’apocalypse à l’enfer.

 

Heureusement, la lecture de l’ouvrage dégage une perception plus nuancée, beaucoup moins pessimiste.

Les pérégrinations d’un message

Le « voyage au bout d’un like » décrit le trajet d’un message qui – à l’insu de son émetteur et de son récepteur séparés de quelques centaines de mètres – parcourt des milliers de kilomètres, en s’incrustant au passage dans quelques centres de données.

L’explosion numérique

Au cours des siècles, les communications humaines se sont progressivement affranchies des contraintes de temps et d’espace, par une succession de dématérialisations : parole – écriture – messagerie – imprimerie – télégraphie – téléphonie – radio – télévision – courrier électronique – vidéo – réseautage.
Les récents progrès technologiques (numérisation et transmission) bouleversent nos modes de vie, avant de nous plonger, très prochainement et irréversiblement, dans l’Internet des objets.

En 2022, 4,6 milliards d’individus connectés diffusent quelques centaines de milliers de messages, chaque minute.

Les mythes

Le cloud

L’utilisation abusive du mot « cloud » laisse penser que le transfert des données et leur stockage s’effectuent, poétiquement, dans les nuages, alors que les infrastructures sont essentiellement terrestres et maritimes.

Des fibres optiques, enrobées dans des câbles sous-marins et terrestres, relient des centres de stockage des données et transmettent des messages numériques, de terminaux émetteurs vers des terminaux récepteurs. Les transmissions aériennes n’acheminent qu’un très faible pourcentage (1 %) de l’ensemble des messages.

La virtualité

De même que toute production industrielle et tout transport, les activités numériques consomment et polluent, mais elles le font, très discrètement, d’une façon totalement imperceptible des utilisateurs.

La prolifération des usages

Les vidéos constituent 60 % de la consommation totale numérique (dont 15 % pour Netflix).
La baisse des coûts unitaires a un effet pervers (appelé rebond) en invitant les utilisateurs à multiplier leurs usages.
Certains adolescents passeraient 7 heures sur Internet.
On recharge de plus en plus souvent son smartphone, signe d’une utilisation croissante.
Les contraintes de sécurité conduisent les fournisseurs à multiplier les lieux de stockage.

Les infrastructures

Les infrastructures nécessaires aux communications numérisées constituent la plus gigantesque machine mondiale jamais créée par l’homme.

Les centres de données

L'enfer numérique 3La recherche de performances (toujours plus vite) et de sécurité (stockages redondants pour permettre la continuité de service) conduit à une extension du nombre de centres de données.

Il y en aurait en 2022, quelques millions.

Celui de Langfang (près de Pékin) mesure 600 000 m2 (sur plusieurs étages), à comparer à la superficie de 100 terrains de football.

 

On favorise des implantations dans les zones froides (faible coût du terrain, électricité hydraulique, et refroidissement naturel).
Vous pouvez rendre visite à vos amis de Facebook (désormais Meta) réfrigérés à Lulea au Nord de la Suède !

Les câbles sous-marins

L'enfer numérique 4

Un réseau amphibie de 450 câbles sous-marins de fibres optiques

(d’une longueur actuelle 1 200 000 km)

canalise l’essentiel du trafic numérique,

à 200 000 km par seconde.

Une route de la soie numérique relie la Chine à Marseille.

Les terminaux

L'enfer numérique 5

Le smartphone est un très bel objet convivial.

Comment pourrait-on imaginer

que sa fabrication

consomme autant de ressources naturelles.

 

Le « sac à dos écologique » exprime les masses de matières premières nécessaires pour produire un objet : un smartphone de 150 g porte un sac à dos de 183 kg, une puce électronique de 2g porte un sac de 30 kg.

Pour continuer à bénéficier des nouvelles fonctionnalités, l’usager s’habitue à un changement fréquent de son précieux et valorisant matériel, sans s’inquiéter des modalités de retraite de ses anciens modèles.

Les consommations

Les ressources minières

Nos smartphones contiennent 54 éléments différents : lithium, cobalt, indium, graphite, néodyme, des terres rares etc.
Guillaume Pitron a consacré un ouvrage sur les conditions (dégâts écologiques et exploitation de la main d’œuvre humaine) de nos approvisionnements en matière.

L’énergie

Les activités numériques consomment 10 % de l’énergie produite par la planète ; de l’ordre de grandeur de l’ensemble du trafic aérien mondial.

La pollution

Un simple courriel génère 0,5 g de CO2, 20 g avec une grosse pièce jointe ; à comparer avec un trajet d’un kilomètre en voiture qui génère 120 g de CO2.
L’ensemble des activités numériques : fabrication des composants, et fonctionnement est responsable de 4 % des gaz à effets de serre.

Les inquiétudes

La partie émergée

L’utile

Nous sommes sensibles au perfectionnement croissant des outils numériques qui offrent des services de qualité, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel.

La facilité de communication améliore les performances des entreprises. La rapidité et la sécurité des transactions facilitent les échanges bancaires… y compris dans le domaine plus contrasté des cryptomonnaies.
Les visioconférences économisent les déplacements et ont permis la continuité d’activité pendant les confinements.
L’hôpital connecté sauve des vies humaines.
L’application Too Good To Go permet de distribuer les invendus alimentaires.
La voiture autonome (conférence d’Erwann Tison – ADELI – 16 mai 2022) nous permettra des déplacements rapides en toute sécurité.

Le futile

Le numérique accroît la satisfaction des besoins de communication des êtres humains ; communications instantanées, transmissions d’images et de vidéos. Le numérique ouvre un nouveau domaine ludique avec les jeux en lignes.
Le guidage GPS nous désapprend à consulter les cartes routières.

La partie immergée : la dégradation de l’environnement

Obnubilés par la légèreté et la convivialité de nos terminaux (smartphones et ordinateurs portables) nous ne percevons pas la matérialité de l’invisible. Nous consommons allègrement les ressources minières et énergétiques de notre planète, en contribuant à sa pollution.

Les MIPS

L’acronyme MIPS ne désigne pas seulement le million d’instructions par seconde, c’est aussi celui du « Material Input Per Unit of Service » qui caractérise le rapport entre la masse du produit fini et la quantité de matière nécessaire à sa production : une autre désignation plus sophistiquée du « sac à dos écologique ».

Les contestations

On souligne le paradoxe de la génération Greta (du nom de Thunberg et non de la divine Garbo) qui manifeste contre la pollution de la planète, mais qui s’adonne à une consommation boulimique du numérique et n’hésite pas à acheter ses vêtements chez Shein.

Bilan et perspectives

Nous sommes lancés dans une course difficilement interruptible.

La sobriété numérique

Peut-on imposer la sobriété numérique ?
Comment peut-on se priver des bienfaits du numérique quoi qu’il en coûte ? Peut-on les consommer mieux ?

Les 4 R

Réduire

On souhaiterait rétablir la frugalité : sobriété, résilience, simplicité.
Pourra-t-on s’astreindre de consommer sans imposer des contraintes punitives (telle la facturation des services) ?
Peut-on espérer des gains en procédant à un ménage de ses propres fichiers ? Peut-on croire à l’efficacité de la technique du colibri qui contribue à l’extinction d’un incendie en apportant une goutte d’eau dans son bec ?

Réutiliser

Fairphone, firme néerlandaise, propose des smartphones de conception modulaire qui permettent une évolution, fonction par fonction, et allonge la durée de vie des produits de 7 à 8 ans.

Réparer

À Amsterdam, des Repair cafés ont proposé de remettre en état d’anciens matériels ; cette pratique se répand dans d’autres villes européennes.
La pression des clients et du personnel incite les grands constructeurs à la réparation.
Ces grandes firmes (telles Apple) y trouvent un vertueux argument promotionnel.

Recycler

Une émulation vertueuse motive les fournisseurs. Un nouveau facteur de concurrence entre entreprises : laquelle sera le plus écologique.
De quoi gérer un nouveau KPI (Key Performance Indicator) ou ICP (Indicateur Clé de Performance).

Mais le recyclage des produits serait-il suffisant pour contrebalancer la croissance des usages ?

Innover

Thierry Breton (commissaire européen au Marché intérieur) veut doter l’Europe de sa propre constellation de satellites.

Le recours à une IA ?

En ultime recours, certains se tourneraient vers l’IA (Intelligence ? artificielle) pour résoudre les problèmes liés à la filière numérique.
Il serait paradoxal de vaincre une difficulté avec les modes de pensée qui l’ont engendrée.
Confier à une IA la stratégie de l’humanité nous déresponsabiliserait.
Il faut des humains pour penser un monde sans humains !

Quelques voies futuristes de progrès

On peut attendre des innovations technologiques : stockage ADN des plantes, informatique quantique, nouveaux matériaux…

La loi REEN (Réduire l’Empreinte Environnementale du Numérique)

Promulguée le 15 novembre 2021, cette loi, postérieure à la rédaction de l’ouvrage, préconise quelques directions vertueuses.

Faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique :

  • Formation à la sobriété numérique dans les enseignements ;
  • Écoconception des services numériques ;
  • Observatoire des impacts environnementaux du numérique.

Limiter le renouvellement des appareils numériques :

  • Sanction du délit d’obsolescence programmée ;
  • Lutte contre l’obsolescence logicielle ;
  • Information du consommateur sur les caractéristiques des évolutions logicielles.

Favoriser les usages numériques écologiques vertueux.

Promouvoir des centres de données moins énergivores.

Et maintenant ?

Toute technologie est ambiguë : à nous d’en faire bon usage.

L’auteur nous déclare incapables de faire un bilan entre :

  • les apports positifs du numérique sur nos activités professionnelles et personnelles ;
  • et ses contreparties négatives sur notre environnement.

Quelle meilleure conclusion que cette citation de Stephen Hawking qui ouvre l’ouvrage de Guillaume Pitron :

« Notre avenir est une course entre la puissance croissante de notre technologie et la sagesse avec laquelle nous l’utiliserons. »

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Publié dans Technologie.

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