Le débat en France sur les rapports que la santé entretient avec le numérique est toujours aussi vif et complexe. On connaît les avatars successifs de la carte Vitale au fil des années et plus encore du Dossier médical partagé. La multiplication des objets numériques en liaison avec notre santé fait aussi débat. L’arrivée de cette pandémie du coronavirus qui dure et semble sans fin, a encore fait évoluer durablement, sans doute, ce rapport de la santé au numérique. Le succès mitigé de la dernière version de l’application TousAntiCovid symbolise à sa manière la méfiance des Français à l’égard de la collecte de donnée via internet. L’annonce des premiers vaccins opérationnels au premier semestre 2021 a révélé les soupçons de toute nature d’une large partie de la population, phénomène essentiellement français.
Le versus encourageant

carte vitale GIE SESAM-Vitale
Nul ne peut nier désormais que le numérique est en train d’opérer une modification radicale du système de santé et initialise une médecine du futur que l’on ne soupçonnait pas aussi rapide et active. Les patients sont désormais en situation, du moins pour ceux qui peuvent accéder aux outils disponibles et aux savoirs, de mieux comprendre leurs pathologies et assurer un suivi plus rigoureux de leur état de santé. Leur rapport avec les équipes soignantes devient aussi plus fluide, plus lisible.
De leurs côtés, les professionnels de santé améliorent leurs performances et consolident la sécurité de leur activité. Les outils numériques, certes pas encore assez maitrisés, leur offrent des accès plus rapides aux données des patients. La télémédecine prenant son essor, rapproche les patients de leurs médecins traitants. L’intelligence artificielle diffuse peu à peu des outils d’aide à la décision de plus en plus performant et sécurisant quant aux conditions du diagnostic. D’une manière générale les difficultés inhérentes à la distance et à la répartition inégale des centres de soins s’abolissent progressivement.
L’administration de la santé, particulièrement en France, avec notre système de sécurité sociale est en mesure de mieux maitriser les données et statistiques de santé publique.
De nouveaux métiers apparaissent autour de cette filière numérique de la santé.
Naissance d’un nouveau concept : l’e-santé
C’est au cœur des années 70, avec l’émergence d’une informatique généralisée, qu’apparaissent les premières réflexions et expérimentations dans le domaine de la santé. L’accélération des capacités de calculs a agi sur la recherche médicale. L’arrivée d’internet a boosté le processus, des générations de médecins plus jeunes et de patients habitués aux technologies numériques ont fait faire des bonds considérables à la médecine.
Une étude commanditée par la Fédération de l’hospitalisation privée Médecine, Chirurgie, obstétrique (FHPMCO) a établi que :
– 81 % des médecins sont convaincus des bienfaits de l’e-santé pour la qualité des soins ;
– 3 Français sur 4 sont prêts à communiquer par des canaux numériques avec leurs praticiens ;
– 99 milliards d’euros d’économies sont possibles avec les solutions d’e-santé sur supports mobiles en Europe ;
– mais, revers de la médaille, 41 % des Français ont des doutes sur la sécurité de leurs données médicales numérisées.
La carte vitale ou comment sécuriser l’e-santé ?
La carte Vitale a déjà une longue histoire derrière elle. Elle apparaît en juin 1997, elle commence à être distribuée en avril 1998 en Bretagne dans un premier temps, juillet 1999 on compte 37 millions de cartes. Suivent toute une succession de générations de carte Vitale, V1, V1 bis, V1 ter…
L’annonce de la Carte Vitale 2 laisse espérer un véritable tournant technologique, en même temps qu’une magistrale avancée médicale. Jusqu’alors support purement administratif au service de la SS , la version Vitale 2 devait mettre en œuvre ce que la loi initiale avait déjà prévu en 1996,un véritable volet de santé …. .
On touchait là au domaine sensible de sécurité des données personnelles de santé, dans un pays où la méfiance avait déjà en la matière fait des ravages. C’est au nom de ce sacré principe de secret médical que ce volet fut discrètement enterré, le décret devant en instaurer la mise en œuvre n’a tout simplement jamais été publié.
Beaucoup d’argent a été engagé sur la carte vitale et finalement la carte Vitale 2 se caractérise essentiellement par le fait qu’on y a rendu obligatoire l’ajout d’une photo d’identité.
Les informations sont essentiellement de nature administrative au bénéfice de la gestion de la SS. Un volet complémentaire santé a été prévu sous réserve de l’accord du titulaire de la carte.
Il est aussi prévu un volet « urgence », inscrit dans la loi du 13 août 2004. « Il est destiné à recevoir les informations nécessaires aux interventions urgentes », mais les professionnels de santé ne peuvent le compléter qu’avec le consentement exprès du propriétaire de la carte. Mais tout comme ce qui avait été prévu dans la loi initiale pour le volet médical ; le volet urgence n’est toujours pas implanté et actif …
Bref, si je dois recevoir des soins d’urgence, que je ne suis pas conscient, qu’aucune personne informée de mon entourage ne soit à proximité… Les médecins interviendront en urgence et en aveugle en ignorant tout de mon dossier médical … Dans un contexte gravissime de pandémie avec le COVID-19, cela pourrait pourtant se révéler bien utile.
Conclusion, l’e-santé est loin d’être sécurisée à ce jour.
Et en 2007 la mise en œuvre du Dossier Médical Personnalisé a définitivement mis fin à cette perspective.
L’épopée du Dossier Médical Partagé
Donc après les ratages successifs de la carte vitale pour prendre en compte les données médicales des assurés, les différents ministres de la Santé s’essayent péniblement à donner corps à ce DMP. Celui-ci avait pour objectif à ce que « chaque Français dispose d’un dossier patient informatisé reprenant toutes les données médicales du patient ».
Pour être plus précis et imaginer ce que cela pourrait présenter comme avancée, cela concerne les antécédents médicaux, les résultats de laboratoires d’analyses, l’imagerie médicale, les traitements en cours, les intolérances…
De fait, au moins est-il opérationnel depuis mai 2011… début 2014, il n’y a que seulement 400 000 dossiers ouverts, à rapprocher des 67 millions d’assurés sociaux.
Pourtant dès les années 1960 et 1970, nombreux sont les spécialistes qui imaginent comment l’informatique, puis le numérique pourraient sauver des milliers de vies humaines par an…
Un demi-milliard d’euros a été investi par la SS sur ce dossier qui a échoué en raison de nombreux facteurs :
- le raté informatique du produit lui-même (lourdeur d’utilisation, contenus non structurés, agrégation de documents PDF en vrac … bref une absence totale d’ergonomie …) ;
- la non-prise en considération des conditions de travail des médecins (manque de temps) ;
- l’absence d’harmonisation avec les logiciels des médecins et des hôpitaux ;
- le fait que l’initiative est du coup laissée au patient pour qu’il inscrive lui-même les données… mais comment les ordonner ?
Bref un scandaleux échec patent… Alors que le numérique a fait faire des bons quantitatifs et qualitatifs à la médecine, en particulier grâce à l’intelligence artificielle, on ne peut à ce jour sauver suffisamment de vies humaines, puisque nous n’avons pas été en mesure de mener à terme un projet ambitieux.
Bibliographie
De la « confiance » dans les systèmes d’information de santé Conférence du 15 novembre 2011, animée par Gilles Trouessin – Rapporté par Véronique Pelletier
Intelligence artificielle (IA), enjeux éthiques dans le domaine de la santé – supplément à la Lettre d’ADELI n°111 du printemps 2018 – par Odile Thiéry
Numérisation de la santé & complexité Rencontre-débat du 5 février 2019 animée par Norbert Paquel – Rapporté par Philippe Ameline
« De la confiance dans les Systèmes d’Information de Santé ? » 15 novembre 2011 – Rencontre-débat avec Gilles Trouessin