Des singes animaient ce coin de forêt, d’un joyeux tumulte.
Cris perçants, hurlements, jeux, querelles, ricanements.
Les plus hardis s’aventuraient dans les cases du proche village,
Pour y chaparder quelques objets, au nez et à la barbe des habitants.
Un beau jour – ou bien une nuit –
Un quidam se présenta,
Flanqué d’un serviteur,
Cet homme étrange, déclara, tout de go,
Qu’il achèterait 10 niocs,
Chaque singe vivant qu’on lui livrerait.
Surprenante idée saugrenue !
Donner une somme, même modeste
Pour les débarrasser d’un intrus bruyant et voleur !
L’offre suscita l’intérêt de quelques villageois,
Lesquels se mirent en chasse de leur petit primate.
L’homme, comme il l’avait promis, déboursa illico,
La somme susdite pour chaque animal livré.
Un enclos, rapidement construit,
Accueillait les premières captures.
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre.
Chacun se rua dans la forêt,
Avec un équipement de fortune,
Pour y capturer un animal banal,
Devenu si précieux,
Rémunéré, rubis sur l’ongle,
Dès son incarcération.
Loin d’être comblé par les premières fructueuses collectes,
L’étranger dit qu’il donnerait désormais 20 niocs pour chaque capture.
La tâche était devenue plus difficile,
Moins il restait de singes, plus ils devenaient méfiants.
En fin de semaine, la cote du singe était montée à 50 niocs.
Le singe docile se faisait rare dans une forêt plus silencieuse.
L’étranger annonça qu’il reviendrait la semaine suivante,
Et qu’il achèterait – promis-juré – chaque singe, 100 niocs.
Il confia la surveillance de la geôle simiesque à son serviteur.
Offre alléchante mais difficile à satisfaire.
Dans une forêt désormais, vide de singes.
À peine l’équipage de cet étrange acheteur avait-il disparu,
Que le serviteur matois leur proposa un juteux marché.
Il leur revendrait les singes déjà capturés au prix de 60 niocs.
La belle affaire que voilà !
Une marge de 40 niocs pour chaque singe,
Racheté aujourd’hui 60 et revendu demain 100.
Les plus riches en achetèrent plusieurs.
Les plus modestes empruntèrent pour acheter leur singe.
Quand tous les singes eurent retrouvé un nouveau propriétaire.
Le serviteur s’éclipsa, nuitamment,
Après avoir vidé son enclos et rempli ses poches.
Nul ne les revit jamais,
Ni lui,
Ni l’homme à la miraculeuse promesse.
Les singes,
Libérés de leur épisode carcéral,
Retrouvèrent leurs tumultueuses activités,
Sans bien comprendre pourquoi
Leurs voisins humains
Ruminaient des illusions envolées.
Il se murmure que cette légende serait à l’origine de l’expression « monnaie de singe ».