La revanche de Frankenstein
Le film
La créature de Mary Shelley n’en finit pas de fasciner les spectateurs.
Même si vous n’étiez pas né en 1958, peut-être l’avez-vous vu récemment en replay où il passe sur plusieurs chaînes.
La Revanche de Frankenstein (The Revenge of Frankenstein) est un film britannique réalisé par Terence Fisher, sorti en 1958. L’histoire est celle de Victor Frankenstein qui aurait échappé à la mort par guillotine et continue ses travaux médicaux plus tard en Allemagne sous le nom de Dr Stein. Le merveilleux Peter Cushing incarne dans le film le rôle de Frankenstein, Frankenstein, tout le monde connait, bien que beaucoup confondent le monstre et son créateur, le Dr Frankenstein, un scientifique à la recherche de l’immortalité.
S’il s’agit bien d’un film d’horreur, celle-ci (l’horreur) ne se situe pas là où on l’attend. Citons la critique de Télérama, signée par Aurélien Ferenczi :
Si le vampirisme inspire à Terence Fisher un cycle du bien et du mal, les cinq films qu’il consacre aux expériences du baron Frankenstein — celui-ci est l’opus numéro deux — livrent une réflexion sur la science face à l’obscurantisme, la raison contre les préjugés.
Loin d’être un film d’horreur traditionnel — la « créature » en est quasiment absente —, cette Revanche de Frankenstein bénéficie d’un scénario complexe de Jimmy Sangster : le savant est au centre du récit, il n’est pas fou, et ses expériences prodigieuses ne sont pas condamnées par une sorte de fatalité morale mais bien par la bêtise crasse de la bourgeoisie dominante.
Peter Cushing trouve ici l’un de ses meilleurs rôles : il passe de la morgue agacée de celui qui se sait supérieur et incompris à la froide certitude du logicien. Il fait du baron une sorte de génie libertaire qui finit — étonnante trouvaille du script — par devenir son propre cobaye, acquérant, de corps en corps, l’immortalité.
Frankenstein est un scientifique qui refuse de se soumettre aux règles éthiques de la société de médecine locale et poursuit ses recherches et expérimentations sans état d’âme, persuadé qu’il œuvre pour le bien de l’humanité.
L’objectif est de créer un homme de toutes pièces, à partir de morceaux récupérés sur des cadavres ou par prélèvement direct sur ses patients d’un hôpital public pour indigents. Quelques amputations de bras ou de jambes font l’affaire.
Si Frankenstein atteint l’immortalité, c’est que celle-ci est assurée par le seul transfert du cerveau d’un corps à l’autre, peu importe lequel, le corps obéit au cerveau. Le cerveau est ici désincarné, il véhicule juste les informations qui y sont stockées. Vous aurez compris où je souhaite en venir. Transférer un cerveau d’un corps à l’autre, c’est effectivement l’image de l’Intelligence artificielle qui collecte des connaissances sous forme numérique pour les injecter dans une entité artificielle, capable de les utiliser.
Un film d’actualité
L’erreur flagrante de Frankenstein consiste à penser l’intelligence comme un phénomène purement numérique non inscrit dans le physiologique. De la même façon qu’il récupérait et réutilisait des morceaux de corps humain pour les assembler sous forme d’une créature à l’apparence humaine, les IA génératives actuelles récupèrent des monceaux de données et les réagencent dans des compositions textuelles, visuelles ou auditives ressemblant à des créations humaines.
La créature artificielle créée par assemblage peut se désorganiser rapidement, si on la laisse sans surveillance : dans le film, elle devient anthropophage.
Le Dr Frankenstein, éminemment fascinant, est ainsi le précurseur de tous les créateurs d’IA, ou au moins de ceux qui voient dans l’IA le moyen de reproduire l’intelligence humaine et d’assurer son immortalité.
La différence entre Intelligence artificielle et intelligence humaine réside justement dans sa décorporation.
Dans son ouvrage « Intelligence artificielle, intelligence humaine », Daniel Andler pointe justement ces différences :
Un système artificiel “intelligent connait non pas les situations, mais uniquement les problèmes que lui soumettent les agents humains.
La perception d’une situation passe par le corps avant d’être, quelquefois, analysée par le cerveau.
Le neuroscientifique Antonio Damasio l’expose brillamment : l’intelligence humaine ne saurait faire abstraction de la dimension physique du corps (Sentir et savoir : une nouvelle théorie de la conscience – 2021).
Le système nerveux, y compris le cerveau qui en est le centre naturel, est logé dans son intégralité au sein du territoire du corps proprement dit, et entretient avec lui un commerce étroit.
Ceux qui rêvent de télécharger leur esprit dans une machine pour devenir immortels devraient comprendre que leur aventure – sans cerveau vivant dans un corps vivant – se résumerait à transférer des recettes vers un ordinateur : des recettes, rien que des recettes.
Alors, utilisons l’IA pour ce qu’elle sait faire, résoudre des problèmes plus rapidement que ce que nous pourrions faire. Mais, gardons-nous bien de perdre le contrôle de la créature que nous avons créée. Nous pourrions être dévorés !