La propriété intellectuelle à l’ère du numérique : Pascal Rogard

Compte rendu de la rencontre avec Pascal Rogard du 12 novembre 2019

par Jean Pelletier

Propriété intellectuelle : un peu d’histoire

Pascal Rogard

Pascal Rogard

La SACD a été créée le 3 juillet 1777 par Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, un grand auteur, mais aussi un homme d’affaires et politique très habile. Il savait un peu tout faire. Il existe un très beau livre d’Érik Orsenna sur Beaumarchais et une série de podcasts sur France Inter qui racontent la vie de Beaumarchais.

Le problème auquel les auteurs étaient confrontés, c’était le monopole des comédiens français. Les auteurs n’arrivaient pas à connaître les recettes de leurs pièces et à en percevoir une partie au titre de leurs droits.

Il a donc créé le monopole des auteurs en réunissant un soir autour d’une bonne table les auteurs les plus en vue de l’époque. Leurs œuvres seraient jouées aux conditions qu’ils dicteraient, un droit financier, mais aussi un droit moral.

Puis Beaumarchais contribue à une avancée politique très avantageuse en 1793, dans une loi (la loi Le Chapelier) qui abolit les corporations, il en profite pour faire introduire le système de droit d’auteur et de la rémunération proportionnelle des auteurs. C’était vraiment un précurseur, car il faudra attendre l’année 2019 pour l’adoption de ce principe au niveau européen dans la dernière directive sur le droit d’auteur.

Il crée aussi le domaine public, c’est-à-dire la limitation dans le temps du droit d’auteur. Dualité entre la protection de l’auteur, des œuvres et le droit d‘accès au public.

Cette problématique, on la retrouve telle quelle quand les questions viennent à se poser avec l’émergence d’Internet et du numérique. Comment trouver le juste équilibre entre la protection des auteurs et l’accès le plus large possible des œuvres au public.

Les autres sociétés

La SACEM s’est créée le 18 février 1851, car les responsables de la SACD ne voulaient pas des musiciens, ils appelaient cela les petits droits… la SACD ce sont les grands droits…

La SACD est une société d’auteurs, il n’y a que des auteurs.

La SACEM est une société de droits d’auteurs, puisque les éditeurs en font aussi partie, le poids des sociétés musicales est devenu très important. Maintenant en Europe ils peuvent changer de société comme ils veulent, avant il devait nécessairement adhérer à la société de leur siège social.

Grâce à ce texte adopté par l’Europe, ils font leur marché au gré des avantages qui leur sont consentis.

Ensuite s’est créée le 11 mai 1981 la SCAM, ce sont des auteurs de documentaires, quand ils ont voulu adhérer à la SACD on leur a répondu qu’ils auraient un barème moins favorable que les auteurs dramatiques… ils ont donc créé leur propre société.

Ensuite sont venus les droits voisins des artistes avec l’ADAMI, des producteurs, des éditeurs de livres… tout un monde complexe de sociétés régies par une directive européenne et contrôlée en France par une commission placée auprès de la Cour des comptes et qui chaque année vérifie le bon fonctionnement des sociétés.

Il y en a certaines qui fonctionnent mieux que d’autres, il suffit de se référer aux rapports annuels de ladite commission.

Voilà les fondements principaux de la propriété intellectuelle rapidement résumés.

Les dispositifs légaux en France

En France la grande loi, c’est celle de 1957, c’est une loi qui a compilé la jurisprudence.

Ensuite est arrivé Jack Lang, qui fait une loi en 1985 sur le droit d’auteur et les droits voisins et qui a instauré le principe de la rémunération pour copie privée.

C’est à ce moment-là que l’ADAMI, qui ne percevait rien, a commencé à percevoir des sommes importantes du jour au lendemain, ce qui lui a occasionné certains déboires financiers.

Qu’est-ce que la copie privée ? C’est la contrepartie au droit d’enregistrer des œuvres audiovisuelles, musicales et littéraires par des particuliers pour un usage privé.

Au départ, c’était un dédommagement sur les enregistrements des particuliers sur les cassettes, puis ce fut l’arrivée de la vidéo avec les magnétoscopes… tout ce monde-là a ensuite basculé de l’analogique au numérique, que l’on connaît aujourd’hui.

Ainsi sur le même support on peut copier de la musique ou de l’audiovisuel.

Les deux sociétés qui percevaient le son et l’image ont de ce fait fusionné.

La copie privée, aujourd’hui c’est 260 millions d’euros par an, qui sont répartis aux auteurs, aux artistes et aux producteurs.

Jack Lang a ajouté l’obligation de consacrer 25 % des ressources à des actions culturelles. C’est de l’argent qui, en plus, est allé directement au financement de la création et des festivals.

les Smartphones sont les principaux supports d’enregistrement qui rapportent les redevances de la copie privée.

Sur le prix d’un Smartphone, la redevance copie privée ne se voit presque pas (3 à 4 %).

Pendant longtemps Apple n’a pas voulu payer la copie privée… la commission qui fixe le taux des redevances pour copie privée, a mis sur la table l’iPod, Apple est venu pour dire que ce n’était pas fait pour enregistrer de la musique, mais des contacts… c’est dire le niveau de mauvaise foi.

Suite aux différents procès,  une transaction a été trouvée et ils ont fini par payer…

D’autres constructeurs ont fait aussi obstruction, seul Samsung s’est acquitté de la redevance sans faire de problème. Après une période de 6 à 7 ans, tout est rentré dans l’ordre.

Aujourd’hui tous les supports sont soumis à cette redevance, sauf les ordinateurs, la commission a mis le sujet à l’étude, il faudra voir quelles sont les suites qui seront données….

Les sociétés de diffusion en streaming comme Netflix offrent la possibilité de télécharger les œuvres pour les visionner hors connexion Wifi, donc elles vont bien sur les disques durs des ordinateurs.

Seuls les disques durs amovibles sont soumis à ce jour à la redevance copie privée.

Les ordinateurs hybrides sont encore un autre sujet, ils font aussi tablettes lorsque l’on détache l’écran, car les tablettes sont, elles, soumises à la redevance.

Il y a un site qui s’appelle copie France ou l’on retrouve tous les éléments juridiques et financiers.

La mise en danger de la propriété intellectuelle par le numérique

Le numérique a failli avec la piraterie détruire la musique. Au moment où cette industrie vivait bien avec la vente des CDs, sont apparus les sites de piratages (le Peer to peer), difficiles à endiguer.

Le législateur a eu du mal à s’attaquer de front à la piraterie… ce n’était pas très populaire, d’autant plus que c’étaient surtout les jeunes qui pirataient.

C’est donc la musique qui a pris de face le problème, car à ce moment-là la musique se téléchargeait facilement, mais pas les films qui occupaient de très grands volumes, qui demandaient beaucoup de temps pour être téléchargés.

Quand les débits ont augmenté et que les films se sont trouvés confrontés au piratage, les politiques, en particulier Nicolas Sarkozy, ont réagi avec la loi Création et internet et la mise en place de l’HADOPI. Ils se sont trompés sur la sanction : la suppression du WIFI, pas du tout adaptée. Aujourd’hui pour faire sa déclaration d’impôt le WIFI est obligatoire.

On a raté le principe de l’amende comme l’infraction routière… le sujet est toujours sur la table.

Hadopi a bien fonctionné pour les avertissements, mais ceux-ci n’ont jamais été suivis de sanction…

La musique a fini par réagir en créant des plateformes de musique et l’audiovisuel a fait de même avec des plateformes comme Netflix ou Primevidéo d’Amazon ou Mycanal.

Celui qui a défendu la création au mépris de ses intérêts électoraux c’est Nicolas Sarkozy. Pour le moment la piraterie existe toujours, le système HADOPI fonctionne sur la détection, mais pas la sanction. Plutôt qu’une saisine du juge trop lourde et complexe il faudrait un système calqué sur la sécurité routière avec des amendes.

En Allemagne, il y a un système assez violent, les gens vont en prison, du coup il y a moins de piraterie.

Ce qui fait régresser la piraterie c’est le développement de l’offre légale, Netflix (6 millions d’abonnés), canal + (4,5 millions) pour la musique Deezer et Spotify… l’accès est plus facile et à des prix compétitifs.

On a pensé que le numérique allait mettre à mal la copie privée, en fait non, la commission a été assez imaginative… elle a pu suivre et s’adapter aux nouvelles technologies sans passer par un changement de la loi, la commission avait les pouvoirs pour le faire.

Les supports physiques résistent encore, le retour du vinyle en est l’illustration parfaite.

Netflix, c’est toute une histoire, l’histoire d’une société qui louait des cassettes puis des DVD qui étaient envoyés par la poste. Le génie du patron a été de comprendre que grâce au numérique il allait pouvoir donner l’accès au public en se passant des distributeurs classiques.

Le travail de doublage et de sous-titrage a permis la circulation des films de tous pays dans le monde entier.

Netflix a permis la circulation des œuvres, que l’Europe n’a pas réussies… et enfin d’investir sur les programmes. Et aujourd’hui ils sont 140 millions d’abonnés dans le monde.

La prochaine bataille qui s’annonce est une bataille de titan : Netflix (le leader), Amazon Prime, Apple et Disney + avec un catalogue puissant.

Cet afflux risque d’assécher les télévisions classiques… les Européens qui sont à la pointe sur les programmes sont complètement absents de cette bataille monopolisée par les Américains.

Pour la musique, l’Europe est mieux placée, Deezer est français et Spotify danois. S’il y a une loi sur l’audiovisuel à venir, c’est pour essayer de mettre la compétition sur un terrain loyal.

 

À lire sur le sujet dans la Lettre d’ADELI :

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