L’auteur de cet article, publié dans la Lettre d’ADELI n° 132, n’est pas une IA, mais un humain avec ses qualités et ses défauts intrinsèques.
Il ne prétend pas fournir une froide synthèse exhaustive de cette conférence, mais une vision personnelle, honnête mais certainement teintée de subjectivité.
La conférence débat
L’UPF – Union de la Presse francophone – créée en 1950, à l’initiative de la France et du Canada, a organisé, le 31 mai 2023, dans l’auditorium du journal Le Monde, une conférence débat intitulée « L’intelligence artificielle, menace ou chance pour les journalistes et les médias ? ».
Sa présidente, Anne-Cécile Robert (également directrice adjointe du Monde diplomatique) a animé une table ronde qui réunissait :
- Marion Carré, professeure à Sciences Po Paris, au CELSA, au CNAM, à AIVANCITY, présidente d’Ask Mona ;
- Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde ;
- Steven Jambot, producteur de l’atelier des médias à Radio France Internationale.
Des innovations technologiques récentes… troublantes
La génération de textes par ChatGPT
Déclenché à la fin de l’automne 2022,
le tsunami ChatGPT
(Chat Generative Pre-trained Transformer)
produit par OpenAI (se prononce « openéaïe »)
ouvre un immense débat sur les applications de l’IA.
La génération d’images par Midjourney
L’outil Midjourney
« imagine » à la demande.
Accompagnée d’autres montages tout aussi spectaculaires,
cette image a fait le tour de la planète.
Cet exemple, peu crédible, démontre cependant,
les possibilités de création d’images artificielles.
Les imitations vocales
Les imitateurs professionnels facétieux caricaturent les expressions orales des personnalités (politiciens, artistes, présentateurs) en reproduisant leurs voix…
Mais, l’IA s’engage dans une voie encore exploratoire, celle d’utiliser des échantillons de voix humaine pour les intégrer dans une déclaration orale fictive : une supercherie difficile à détecter.
Les investissements concurrents
Le succès médiatique de ChatGPT ouvre les appétits de ses grands concurrents états-uniens qui engagent des budgets colossaux dans ces technologies.
L’influence de l’IA sur l’activité de journalisme
Ces innovations touchent de plein fouet les journalistes dont la mission consiste à informer les lecteurs et à canaliser leurs réflexions.
Les caractéristiques de la rédaction artificielle
Lorsqu’on interroge ChatGPT, en utilisant des mots-clés précis dans un style concis :
- les textes générés sont correctement rédigés dans un langage limpide ;
- les textes respectent les règles orthographiques et grammaticales, dans une mise en page soigneusement structurée ;
- les textes sont neutres, vis-à-vis des idéologies (politiques, religieuses, spirituelles) ;
- la restitution instantanée est pratiquement gratuite.
C’est une aubaine pour les publications gratuites plus attentives aux revenus publicitaires qu’à la déontologie journalistique.
Le nombre de minutes (20) – titre d’un quotidien gratuit – qui veut suggérer un temps de lecture, ne serait pas le temps mis à la composer ?
Origines des textes produits
Tel un moteur de recherche, ChatGPT extrait des données relatives au thème requis ; il les assemble harmonieusement avant de les mettre en forme pour livrer sa réponse. L’article généré par l’IA ne saurait citer les multiples sources, quelquefois contradictoires, qui alimentent ses algorithmes.
Lorsqu’on malaxe des bâtons de pâte de différentes couleurs pour réaliser un modelage, il n’est plus possible d’en retrouver les origines. Il en va même pour un texte généré à partir d’informations qui avaient chacune leur personnalité originelle.
Neutralité
Actuellement, les concepteurs de ChatGPT lui ont interdit d’exprimer toute opinion clivante (politique, religieuse, sociale, morale…) susceptible d’influencer ou d’indisposer ses lecteurs.
L’intérêt de la traditionnelle presse d’opinion repose sur les prises de position des journalistes qui interprètent les faits selon leurs propres critères. Le lecteur d’une revue de la presse traditionnelle accède à un spectre d’interprétations ; il peut alors, en toute liberté :
- conforter une opinion préétablie, modelée par un quelconque militantisme ;
- construire sa propre opinion, en confrontant les divers commentaires.
La neutralité d’un texte généré artificiellement le rend fade et insipide ; elle prive son lecteur de toute réflexion appuyée sur sa perception personnelle. Certains n’hésiteront pas à parler de « fadaises ».
Les antécédents
Dans le passé, en absence de technologies, la propagande n’avait pas hésité à tordre l’information.
La dépêche d’Ems
Une légère modification de la traduction de la dépêche d’Ems
combinée à des erreurs de traduction a largement contribué à lancer la guerre de 1870 entre la France et la Prusse.
Le drapeau planté sur le Reichstag par des soldats soviétiques
l
La mort du combattant républicain espagnol
Menaces et opportunités
Menaces
La pérennité des journalistes professionnels est menacée par la prolifération de textes rédigés par des algorithmes, en parfaite concurrence avec leur travail. La production artificielle, certes moins nuancée, ne sollicite pas l’esprit critique du lecteur, mais elle est plus rapide et gratuite.
Les anciens articles rédigés par les journalistes et publiés sur la toile sont une mine pour les algorithmes qui ne sauraient les rémunérer pour des emprunts ponctuels, difficiles à identifier.
La diffusion d’articles générés artificiellement crée des biais cognitifs en ignorant délibérément les environnements (sociaux, politiques, religieux…) des événements.
Opportunités
Nous utilisons déjà, automatiquement, des correcteurs orthographiques et grammaticaux.
Le journaliste peut exploiter les ressources de l’IA pour collecter rapidement, sur la toile, un lot de données pour préparer son article. Il lui appartient de rechercher, avec les moteurs traditionnels, l’origine des données les plus sensibles.
L’IA peut aider le journaliste à la mise en forme de son article, notamment en lui suggérant une liste de titres motivants.
Les tentatives d’utilisations de l’IA pour des traductions destinées aux éditions en langues étrangères s’inscrivent dans un cycle qui fait appel au contrôle humain :
- traduction automatique du texte source pour livrer un texte dans la langue cible ;
- correction de ce texte par un locuteur de la langue cible ;
- mise en forme par un journaliste dans la langue cible.
Les protections
Autant l’utilisation de cette main d’œuvre artificielle gratuite peut séduire les éditeurs de presse, autant elle inquiète les journalistes qui se regroupent autour des instances professionnelles.
Le CDJM
Le Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation est une instance de médiation dont les membres sont répartis en trois collèges : journalistes, médias et public.
L’EMI
L’Éducation aux Médias et à l’Information vise à sensibiliser les individus à une consultation critique des médias.
Contrat de confiance
Notre propension réglementaire occidentale envisagerait de labelliser l’origine (humaine, artificielle, mixte) des articles publiés.
À suivre…
Nous affronterons une prolifération de textes, d’images, de commentaires oraux de provenance inconnue, dans laquelle il sera bien difficile de distinguer le vrai du faux, l’erreur de la manipulation, l’information de la propagande.
Mais « Il est difficile d’ignorer le train lorsqu’on est déjà accroché aux wagons ! »
Les autorités européennes élaboreront vraisemblablement un arsenal règlementaire dont on peut louer les bonnes intentions avant de déplorer son inefficacité.
Consultation de l’enregistrement vidéo de cette rencontre L’IA, menace ou chance pour les journalistes et les médias ?