IoB – Internet of Behavior – Internet du comportement

Après l’Internet des objets et les réseaux sociaux, l’Internet du comportement ?

Chaque année, la parution du « Top Strategic Technology Trends » (orientations  technologiques stratégiques) du Gartner group déclenche une vague de commentaires sur les réseaux sociaux. Pour 2021, les tendances mises en avant se déclinent selon trois axes :

  • centrer les entreprises sur les personnes ;
  • s’affranchir des contraintes de localisation ;
  • fournir des services et produits résilients.

Le troisième axe s’inspire de l’actualité puisqu’il émerge suite à la pandémie de Covid-19. Chacun de ces axes comporte trois tendances phare. Parmi les neuf tendances, celle qui est mise en exergue s’intitule « Internet of behaviors » (IoB), soit en français « Internet des comportements ». De quoi s’agit-il ?

Suivant l’acception de Gartner, il s’agit de collecter la « poussière numérique » semée par les comportements individuels, de convertir cette poussière en information, puis d’utiliser cette information en vue d’influencer les comportements.

Contrairement à ce que croient certains blogueurs qui colportent avec enthousiasme les « prémonitions » du Gartner, cette notion est relativement ancienne à l’échelle de la transition numérique. La locution « Internet of Behaviors » est attestée dès 2012, dans le blog de son inventeur, le professeur de psychologie finlandais Göte Nyman, aujourd’hui retraité actif. Mais l’inventeur du terme et les divers oracles qui s’en sont emparés parlent-ils de la même chose ?

La vision de Göte Nyman

Göte Nyman constate que dans l’écosystème actuel, l’économie de la connaissance s’appuie sur le « Big data » pour croiser les comportements économiques, l’expression au sein des réseaux sociaux, la formation, les habitudes, la localisation, etc. Cela aboutit à l’élaboration de synthèses monétisables. Mais cela ne tient compte ni des intentions réelles, ni de la subjectivité personnelle des personnes concernées.

En 2020 dans son essai « On the edge of human technology », que l’on peut traduire par « À la frontière des technologies humaines », il écrit « Que pourrait-on faire si l’on savait que des milliers, voire des millions de personnes agissent pareillement, ou sont engagées dans des plans similaires, montrent les même intentions ou les mêmes souhaits au même moment ? Que ferait-on si on avait cette connaissance, sans forcément savoir qui ils sont, ni où ils sont (par respect de leur désir de confidentialité)»

Son idée consiste à apporter dynamiquement une proposition d’aide ou de soutien aux personnes qui expérimentent des schémas de comportement similaires. Selon Göte Nyman, il n’existe qu’un nombre limité de schémas des comportements : même s’ils ressortissent à des domaines aussi vastes que la vie quotidienne, les loisirs, le travail,  la formation, les sports, etc., ces schémas peuvent être inventoriés, répertoriés et faire l’objet d’un codage. Les exemples qui illustrent ses articles sont relatifs à la danse, aux jeux électroniques, à l’expression faciale des émotions, à la rédaction de textes.

Pour opérationnaliser son idée, Göte Nyman ébauche une architecture sommaire composée des couches suivantes :

  • Un module de codage et d’enregistrement des comportements. Celui-ci serait alimenté soit de manière automatique, soit à partir de déclarations volontaires d’individus maitrisant les informations qu’ils souhaitent divulguer.
  • Un décodeur et serveur des données de comportements enregistrées. Accessible aux fournisseurs qui pourraient effectuer des sélections, proposer des informations, des offres, des services appropriés. Ce n’est pas explicite, mais on extrapole que ces services sont gratuits ou payants.
  • Une plateforme de service accessible aux usagers de l’IoB (citoyens, clients, entreprises, robots, etc.) qui selon un comportement répertorié pourraient choisir les offres des fournisseurs, sans nécessairement décliner leur identité, ni leur localisation.

Au sein de cette architecture, réside un moteur de recherche dynamique de comportements. Un premier exemple est inspiré par son expérience personnelle, car ce professeur d’université retraité, est également écrivain. Un auteur qui compose sur son terminal des textes techniques et des textes littéraires se verrait proposer des modules d’aide contextualisée selon le type de rédaction en cours. Dans un autre exemple, un bracelet capteur enfilé au poignet d’une personne qui travaille en journée et suit un cours de danse en soirée. Les mouvements des bras sont interprétés en contexte et des  propositions opportunes peuvent en découler.

De prime abord, ces deux exemples assez simples n’illustrent que des facilitations ponctuelles. Les desseins de Gote Nyman sont plus ambitieux. Il pense montrer que chacune ou chacun d’entre nous évolue dans une architecture des réseaux de comportements. Un déplacement dans ces réseaux est l’occasion de recevoir des offres ou des propositions d’intervention ad hoc.

Une interprétation de l’IoB

Arlène Minkiewicz, responsable scientifique chez Price systems, propose une histoire de l’Internet très schématique en trois époques :

  • L’Internet en soi permettait de passer des données aux informations.
  • Aujourd’hui, l’IoT et les médias sociaux nous transportent des informations aux connaissances grâce aux techniques d’analyse d’informations multiples.
  • Quant à l’IoB, il nous fera pénétrer dans l’âge de la « sagesse » et renouvellerait les sciences des comportements.

Pour effectuer la dernière transition présagée par cette vision condensée et progressiste du monde, il convient d’examiner quelles sont d’ores et déjà les sources de données disponibles et les contextes technologiques. Au titre des sources de données, on trouve :

  • les entreprises commerciales ;
  • les organismes publics et des agences gouvernementales ;
  • les médias sociaux ;
  • la reconnaissance biométrique des individus ;
  • les procédés de localisation ;
  • mais surtout, les données transmises par tout objet connecté, au nombre desquels les vêtements, prothèses et implants.

Quant aux contextes technologiques, le développement rapide de l’internet des objets (IoT) et des réseaux d’objets (NoT) constituerait un socle technologique qui favorise l’émergence de l’IoB. Les objets connectés rencontrent les terminaux mobiles. Ces terminaux sont interconnectés avec les entreprises. Des réseaux d’entreprises autorisent l’analyse de données provenant de la vidéo surveillance, des compteurs intelligents, du suivi sanitaire. Ces technologies pourraient être « améliorées » par les apports de l’intelligence artificielle, de la blockchain et du « Edge computing » afin de prendre en compte les comportements et les intentions des personnes.

Les premiers domaines d’application seraient :

  • la conception de produits et la vente basés sur les usages réels des objets achetés ;
  • l’influence sur le comportement des employés dans les entreprises (en cas de pandémie, détecter les visages non masqués, les mains mal lavées) ;
  • le marketing digital ;
  • la recherche industrielle ;
  • la santé ;
  • la vie domestique (sécurité, confort).

Projections naïves et dangereuses ? Arlène Minkiewicz n’oublie pas de poser comme préalable éthique à cet « âge de la sagesse » la résolution des problèmes liés à la confidentialité, la sécurité et la multiplicité des lois en vigueur sur notre planète.

Mais ce n’est pas le cas de tous les protagonistes. Au travers du Web, on trouve des interprétations réductrices de la pensée initiale, allant parfois jusqu’à considérer l’IoB comme essentiellement une extension des frontières du marketing.

« Internet of Behaviors », une expression déjà polysémique

Revenons au père de l’expression « Internet des comportements ». Aujourd’hui, Göte Nyman est retraité, actif et militant. Huit ans après son article initial, il continue de publier et veut explicitement se démarquer du Gartner qui s’est approprié le terme IoB et l’affiche en exergue de publications exerçant une influence majeure par leurs taux de diffusion et les échos qu’elles suscitent.

Göte Nyman s’intéresse prioritairement aux besoins des personnes ou des groupes d’individus qui affichent des comportements communs. Pour lui, ce qui importe c’est l’individu riche de comportements variés en tant que citoyen, travailleur, consommateur, membre de groupes. Une architecture technique doit protéger les données individuelles des marketeurs qui analysent les schémas comportementaux.  Pour sa part, Gartner propose aux entités publiques et privées d’utiliser les traces de « poussière numérique » pour analyser, comprendre et monétiser. Par exemple en influençant les comportements lors d’une prise de décision. Cette influence doit s’avérer suffisamment fine pour ne pas gêner la réception sociale. Gartner cible en premier lieu les organisations, qu’elles soient administratives ou commerciales et leur annonce la perspective d’infléchir les comportements des personnes.

Göte Nyman pense qu’au tout début, il a sous-estimé les problèmes liés à la sécurité et la confidentialité des données. Il prône aujourd’hui un IoB humaniste et insiste dans son journal sur la nécessité de séparer radicalement données d’identité et données de comportement. Il cite à ce sujet les récentes orientations de Tim Berners-Lee. Ce dernier, considéré comme l’inventeur du World Wide Web en a accompagné la croissance fulgurante. Parmi ses nombreuses prises de position, on remarque un soutien à la neutralité du Net, ainsi qu’aux logiciels dits « libres ». Il promeut aujourd’hui le projet Solid en faveur de la pleine propriété des données individuelles et de la protection de la vie privée.

L’IoB de Gartner considère comme acquis l’accès aux données des personnes et à leurs comportements. Cette simplification fait l’économie d’une architecture dédiée à la protection des données personnelles.

Gartner remarque que les législations imposées dans certaines aires géographiques peuvent affecter la nature et l’usage des données. Prudemment, Gartner ne se prononce pas sur l’aspect positif ou négatif de ces législations.

On constate que derrière un acronyme unique « IoB », une locution magique en plein essor « Internet of Behaviors », résident des conceptions dont les finalités diffèrent. Cette appellation est maintenant au centre d’interprétations et d’intérêts divergents qui pourraient à l’avenir s’opposer.

Lionel Perrot

Références

Gote Nyman’s (gotepoem) blog

Gote Nyman : On the edge of human technology, Essay, 2020

Arlene F. Minkiewicz : Internet of Behaviors webinar, 11 février 2021

Tim Berners-Lee : Wikipedia

Projet Solid

Gartner group : Top Technologic Strategic Trends for 2021

 

 

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