Du BALAI !
Après avoir vécu différentes péripéties dans le monde entier, je me vois confier un poste à très haute responsabilité au sein du BALAI (Bureau d’Abrogation des Lois Anciennes Inutiles).
N’allez pas croire qu’il s’agit d’une plaisanterie, au contraire, c’est très sérieux. Je dois dépoussiérer, faire le ménage afin de chasser les fossiles législatifs.
Pourquoi et comment me suis-je retrouvée au cœur de cette immersion en Absurdie ? Je ne sais pas.
Les autocrates et les différents élus des démocraties n’ont pas manqué d’imagination, au cours des siècles, pour créer et graver des interdictions et plus rarement des libertés.
Le foisonnement
En France, tout a commencé par Napoléon (le Code civil de 1804 comptait environ 885 pages sur papier épais. Il y en a plus de 3 300 aujourd’hui sur papier bible) sans oublier tous les autres codes, les coutumes locales, les règles professionnelles, etc.
Les lois et décrets peuvent concerner les hommes, mais aussi les animaux, la terminologie… sans oublier les extraterrestres.
Un tour du monde exploratoire
Rat ou éléphant sur une plage normande
Pour m’aider, j’ai besoin de la collaboration inconsciente de mon rat.
Ah ! C’est vrai, je n’ai plus le droit de dire qu’il est un rat, alors que c’est ce qu’il est. Et pourquoi ?
C’est un délit d’offense. Ce terme, jugé trop péjoratif, doit être exclu du dictionnaire. Je dois lui attribuer un autre nom. Ainsi, alors que nous étions sur une plage de Normandie, un enfant s’est approché de nous et m’a posé la question suivante :
— Quel est cet animal ?
Je savais que je devais bannir de mon vocabulaire le nom de son espèce. J’ai simplement répondu :
— C’est un éléphant.
Aussitôt, la gendarmerie m’a demandé de quitter les lieux.
— Circulez ! La plage est interdite aux éléphants !
J’imagine que ce décret a été justifié il y a bien longtemps, lorsque les animaux étaient présents dans les cirques. Je soupçonne que l’un des pachydermes s’était échappé, provoquant une panique chez les habitants. Je commence à remplir mon carnet.
En kilt, dans la ville d’York
Je traverse la Manche pour visiter la ville d’York. Pour me fondre dans la foule, je porte un kilt et me promène sur les remparts de la ville. Pour faire plus authentique, je chemine avec un arc et des flèches. J’ai risqué ma vie. En effet, je ne savais pas que les habitants de la ville sont autorisés à tuer les Écossais, ce que je ne suis pas. Néanmoins, je fuis.
Parachutisme féminin en Floride
Maintenant, je franchis l’océan Atlantique jusqu’en Floride.
Je tente un saut en parachute. Malheureusement, la loi interdit aux femmes célibataires le parachutisme, le dimanche. Ce fut une folie gravissime qui aurait pu se terminer en tragédie.
Le rat qui fume en Indiana
Je change d’État, toujours accompagnée de mon rat Napoléon.
Pour une raison qui m’échappe, il fume une cigarette trouvée, je ne sais où. Je ne fume pas.
Nous sommes interpelés par les autorités, alors qu’ici, en Indiana, ce sont les singes qui n’ont pas l’autorisation de fumer. Je sens une injustice.
Le poisson ivre dans l’Ohio
Dans l’Ohio, j’achète un poisson pour amuser Napoléon. Mais, ladite friture est ivre. Encore un délit !
La poule indisciplinée en Géorgie
Nous nous dirigeons vers la Géorgie, j’achète une poule pour distraire mon compagnon. Le gallinacé a des désirs de libertés et traverse la route. Encore une infraction !
La glace du Kentucky
Il faisait si chaud dans le Kentucky, j’ai décidé de me rafraîchir avec une glace. Le soleil faisant fondre mon dessert, je ne peux plus le manger. Je ne veux pas salir la rue. Alors, en désespoir de cause, je glisse le cornet dans ma poche, sans savoir que c’est interdit.
Le cornichon sauteur du Connecticut
Comment reconnaître officiellement un cornichon dans le Connecticut ? Rien de plus simple. Il doit rebondir pour se voir attribuer ce titre.
La savonnette de l’Alabama
Enfin, en Alabama, j’ai vu une personne vraiment très sale qui a volé une savonnette. Le délinquant a été condamné à se laver jusqu’à épuisement dudit produit. J’ai très envie de voler du foie gras ou du caviar ; la même peine me sera-t-elle infligée ? En manger jusqu’à épuisement des stocks ?
Je sais que dans le même État, je ne pourrai pas conduire les yeux bandés sans commettre une entorse à la loi !
La pièce de monnaie auriculaire à Hawaï
Comme je ne veux pas mettre ma vie en péril, je vais m’abstenir et me diriger vers Hawaï. Pourquoi le législateur a-t-il interdit de mettre des pièces de monnaie dans les oreilles ? Quelle drôle d’idée ! Sans doute à la suite d’une mode ancienne qui aurait conduit de nombreux habitants dans les hôpitaux.
L’aqua bike en Californie
En Californie, je circule à bicyclette, lorsque je vois une pancarte sur laquelle est inscrit « aqua bike ».
Mon anglais est certes aléatoire, je pense pouvoir entrer en ce lieu et pédaler dans l’eau, stupidité, pour éviter la noyade, il est préférable de ne pas faire du vélo dans une piscine.
Le cheval du Roi de France
Nous rentrons en France pour retrouver un peu de bon sens. Ou pas !
Petit plongeon dans le temps. Nous devons tous avoir du foin chez nous. En effet, si le Roi venait à passer à cheval, il faudrait nourrir sa monture avec du fourrage.
Quant au Roi, rien n’est prévu pour lui.
Même si le temps de la monarchie est révolu, on ne sait jamais…
Interdiction des OVNIs, des moustiques, de la pluie, des décès
Première étape des bizarreries législatives. Comment peut-on faire comprendre aux extraterrestres qu’ils ne sont pas les bienvenus ? Au cas où l’un d’entre eux survolerait, atterrirait ou décollerait, son engin serait immédiatement mis en fourrière. Il n’empêche que le maire a eu raison, car depuis son arrêté, aucun être venu d’une autre planète n’a osé s’approcher de cette cité.
Autre lieu, autres indésirables, les moustiques ! Si je suis piqué, à qui dois-je me plaindre ? Quelles sanctions leur seront infligées ?
Dans une troisième ville, il ne doit pas pleuvoir en journée.
Dans la quatrième agglomération, il fait bon vivre. Je pense m’y installer car y mourir est contraire à la légalité. Toujours la même interrogation si je transgresse la loi, quelle sera la peine encourue ?
À quoi peuvent penser les maires qui proposent ces décrets ? Certains ont été justifiés par des impératifs du moment, d’autres élus se sentant ignorés veulent que l’on parle de leur commune. D’autres sont sans doute facétieux ou ont un ego démesuré ? Le pouvoir, même à petite échelle, rend-il imaginatif ?
Photographie nocturne de la tour Eiffel
Cette loi peut faire sourire.
La « Grande Dame » a, elle aussi, son droit à l’image et est donc protégée de la diffusion de son portrait, mais seulement de nuit.
Prenez des photos le jour et il ne vous arrivera rien si vous les publiez, mais oubliez lorsqu’elle est dans l’obscurité.
Pourquoi ? Ne serait-il pas plus logique de tout interdire, ce qui est fort compliqué ou au contraire de tout permettre ?
Les femmes en culotte
Pauvres femmes françaises ! Les hommes partis au front, vous deviez tout assumer. Mais, vous n’avez pas le droit de « porter la culotte » depuis une loi de 1800. Même pour les travaux aux champs, vous deviez être vêtue d’une jupe ou une robe, sauf si vous aviez un cheval ou une bicyclette.
Par chance, cette loi a été définitivement abrogée le 31 janvier 2013. Je dois remercier son instigateur. Il allège mon travail. Combien d’entre nous ont été hors la loi ?
Nos voisins européens nous proposent aussi quelques singularités.
Ainsi, en Suisse, on ne doit pas étendre son linge le dimanche.
En Italie, et plus précisément à Capri, il est interdit de porter des chaussures bruyantes. Comment quantifier l’inconfort auditif ?
À Vigevano près de Milan, même si le soleil est très présent, on ne peut pas s’asseoir à l’ombre d’un monument. Cette interdiction a sans doute été dictée par un souci de confort et de protection. En effet, cela évite les fientes produites par les pigeons et autres volatiles qui apprécient s’installer sur les statues. Peut-on rester debout ? Tant pis pour les insolations !
Enfin, oubliez de profiter de la plage italienne à Eraclea si vous aimez construire des châteaux de sable.
En Allemagne, prévoyez de faire le plein d’essence avant de vous engager sur l’autoroute si vous voulez éviter de vivre en marge de la légalité.
Lorsque j’appelle mon animal de compagnie, certains me regardent d’un œil mauvais. Ce délit d’offense n’existe pas. Ce n’est qu’une rumeur. Il n’en demeure pas moins que je suis devenue persona non grata à l’oreille de certains. Je dois trouver une nouvelle destination, ou simplement m’enfermer dans mon bureau et faire ce labeur qui m’a été imposé.
« Nul n’est censé ignorer la loi »
Le législateur est-il toujours sensé ?
À moi, les lois, les règlements, les arrêtés municipaux, ministériels, préfectoraux… sans oublier les coutumes, ce qui est plus compliqué, car elles ne sont pas écrites.
Désormais, mon animal n’est plus un rat. Parfois, j’ai besoin de conduire les yeux bandés. J’en ai le droit puisque nous ne sommes pas en Alabama et rencontrer, voire percuter un platane, une montagne, la mer au tout autre lieu qui me permettra d’éviter cette tragédie pour en connaître une autre.
Est-il utile de connaître les lois et coutumes qui sont inutiles, obsolètes, car non abrogées ?
En revanche, certaines paraissent insolites, cocasses, improbables, mais sont néanmoins utiles, justifiées, fondées.
À Singapour, le chewing-gum est interdit tant à la vente qu’à la consommation afin de préserver la propreté de la ville.
En Russie, comme en France et dans d’autres pays, il est interdit de conduire une voiture sale. En effet, il semble logique que la plaque minéralogique soit lisible et que le pare-brise permette une vision correcte. Attention lors des vagues de sable du désert !
Enfin, il a fallu sanctionner les commerçants qui laissent les portes du magasin ouvertes alors que la climatisation ou selon la saison, le chauffage fonctionne. Qui agit ainsi chez lui ? Il est quand même dommage d’être contraint de rappeler ces règles de bon sens, que chacun doit se comporter en « bon père de famille ».
Dans cette immersion en Absurdie, où ma mission est d’aérer, j’ai envie de faire les vases communicants en ajoutant des textes.
Le premier serait d’interdire aux deux roues et autres trottinettes de rouler sur les trottoirs. Ah non ! Ça existe déjà… et pourtant. J’aimerais aussi interdire l’utilisation de sac à dos d’une épaisseur supérieure à 5 cm lorsqu’il y a beaucoup de monde. Je m’interroge : une loi peut-elle rendre les gens responsables, civilisés, respectueux ? Suffit-il de légiférer ?
Épilogue
Après ce mini tour du monde légèrement confus et cet inventaire « à la Prévert », il est temps pour moi de rencontrer les membres de la commission.
Devant le large pupitre, cinq personnes en posture de savants, face à la presse.
Nous, les petites mains, sommes en arrière. Nous n’aurons pas droit à la parole. Dommage parce que j’avais beaucoup de choses à proposer.
Dans ma poche, mon petit carnet qui commence à être bien rempli. Il ne sera pas consulté aujourd’hui. Le président de séance arrogant, méprisant, sûr de lui a l’outrecuidance de commencer son discours par ces mots :
— Je ne suis pas juriste, mais je pense que…
C’en est trop pour moi. Je ne l’écoute plus. Je noircis les feuilles encore intactes avec des dessins. Pourquoi ne laisse-t-il pas les experts s’exprimer ?
Ce n’est pas le café du commerce où chacun donne son avis d’ultracrépidarien.