François Tête, les pionniers des méthodes numériques et ADELI…

Les circonstances d’une rencontre

Au début des années 1980, j’étais un tout jeune professionnel, auparavant déçu par les études en économie et fraîchement enthousiasmé par l’informatique et les systèmes d’information. Profession, joyeusement fidèle aux dernières activités à Air France de mon père, précédemment navigateur bombardier pendant la guerre, puis navigateur civil après la guerre (c’est-à-dire calculant et optimisant pour le pilote la route de l’avion, du temps où cette tâche était encore manuelle). J’étais plein de principes et d’ambitions, bien sûr, comme on l’est souvent à cet âge. J’avais déjà été, par mes premières expériences universitaires et en entreprise, convaincu de la validité pratique et la grande efficience de ce que Jean-Dominique Warnier nommait la « Logique Informatique ». Ceci avec l’aide des enseignements théoriques poussés et entraînements très intensifs de l’I.U.T. de Paris-Nord Villetaneuse. Et aussi avec l’aide et grâce aux idées de mon oncle, Jean-Pierre Dennys, lequel avait déjà rencontré et discuté avec Alain Coulon, l’un des fondateurs d’ADELI, à l’occasion d’une conférence.

J’avais pu éprouver par la pratique qu’un programme, même d’une complexité certaine, pouvait fonctionner de façon très fiable dès sa troisième compilation, pourvu d’y déployer tout le soin nécessaire – là où certains collègues avaient besoin de beaucoup plus de passages machines. Et qu’un tel programme pouvait se révéler parfaitement modulaire, maintenable et évolutif, par l’application de la méthode L.C.P. (logique de Construction des Programmes) de Warnier et de l’arbre programmatique de Bertini & Tallineau enseignés à l’IUT informatique de Paris-Nord-Villetaneuse.

La Logique informatique était une nouvelle discipline, scientifiquement formalisée par Warnier. Jean-Dominique Warnier semblait alors encore beaucoup plus respecté en Amérique du Nord, sur le continent africain et dans les pays de l’Est qu’il ne l’était dans son pays de France, selon l’adage que nul n’est prophète en son pays. Ceci en partie grâce à la politique commerciale de la société Bull, laquelle avait compris, comme IBM, que pour vendre du matériel, il fallait aussi savoir vendre du logiciel et des formations. En France, l’exception la plus remarquable était au sein de l’enseignement technologique en informatique où Warnier était presque devenu la norme officielle à enseigner. Sans doute grâce à la grande clarté de cet enseignement et de ses supports de cours remarquables alors publiés aux Éditions d’Organisation ?

Cette discipline s’appliquait à la programmation (codage) et au développement d’applications efficace, sans stress ni souci, dans la sérénité et le presque repos de l’esprit.

Pour éviter les excès de consommation d’aspirine et autres tranquillisants, j’avais alors, encore jeune, préféré rejoindre l’association ADELI, présidée par François Tête et dont Alain Coulon assurait le secrétariat général depuis sa fondation. L’association défendait le développement de la Logique Informatique et la Maîtrise des Systèmes d’Information.

Nous nous réunissions tous les mois, en Comité, tantôt sur les Grands Boulevards, dans les locaux de la banque Worms, dont François Tête dirigeait la sécurité de l’informatique, tantôt dans le bureau d’Alain Coulon à l’entreprise Bull, tantôt dans le café l’Entracte, près de l’Opéra.

Une époque de promotion des méthodes Warnier et Merise

Nous avons alors beaucoup développé la diffusion et « l’évangélisation » d’une bonne pratique des méthodes informatiques (Warnier, Merise, et d’autres) pour mieux réguler les activités informatiques, la bonne utilisation des systèmes d’information, favoriser la diffusion et l’utilisation des outils supportant de telles méthodes (Cela contre l’idée qu’il suffisait de s’en remettre simplement au pragmatisme, à l’expérience et aux habitudes, plutôt qu’à une approche scientifique rigoureuse).

J’ai alors été frappé par la grande simplicité et la modestie, à côté de l’efficacité, de notre président, qui cachait bien son jeu.

La montée en puissance de François Tête en sécurité numérique

J’ai été surpris d’apercevoir la vitesse avec laquelle François Tête avait évolué professionnellement vers le conseil pour la prévention des incidents informatiques, les plans de reprise et de continuité d’activité.

Puis, ce qui est frappant, François Tête devint l’un des plus grands experts et une autorité de référence, fondant un club associatif fédérant tous les experts du domaine.

Mais ce que j’ignorais encore était à quel point François Tête, depuis sa jeunesse, avait été un presque  « bourreau de travail », même si, à mes yeux, il ne le semblait pas, comme en ont témoigné, après la cérémonie d’adieu, des amis et collègues qui le côtoyaient déjà alors. Là était sans doute l’un de ses multiples secrets, outre ses passions pour la campagne, pour l’opéra et pour les arts, partagées avec son épouse, chef médecin en pédiatrie hospitalière…

Sa dernière conférence-débat pour ADELI

Sa dernière conférence, en mai 2021, très intéressante, portant sur l’incendie d’un data center à Strasbourg.  Elle abordait les moyens de prévenir de tels incidents et reprendre l’activité de l’entreprise et son informatique après incident. Sans dommage majeur, pourvu suffisamment de mesures préalables adéquates.

Sa courte présentation liminaire de 30 minutes a été lumineuse de simplicité et clarté. Pour laisser ensuite plus de place au débat. Ses réponses, ensuite aux questions et réflexions frappent par leur qualité d’écoute et de discret bon sens.

En regardant à nouveau cette vidéo, j’y ai ressenti aussi beaucoup d’humour caché, derrière le respect et la discrétion. Un humour dont je n’ai pu prendre conscience que récemment.

Très vifs souvenirs

Parmi toutes les remarquables personnalités que je peux rencontrer au sein de l’association ADELI et dans le monde professionnel des systèmes d’information, François Tête m’aura marqué comme un exemple d’efficacité, humanité, modestie et discrétion. Et aussi par son ouverture d’esprit, laissant place à ses interlocutrices et ses interlocuteurs.

À travers ses vidéos, ses articles et son souvenir, je suis heureux de l’avoir rencontré et de pouvoir toujours l’apprécier. Encore merci et bravo, bon vent et bonne route !  Et toute notre affection confiante, amicale et fraternelle à sa famille, ses proches, amis et anciens collègues.

Anecdotes et précisions d’Alain Coulon

Alain Coulon, en tant que Secrétaire et Trésorier de la toute jeune ADELI, il avait travaillé en binôme étroit avec François Tête, second Président de l’association et utilisateur et promoteur des méthodes Warnier, alors que Henri Baradat, premier président de l’association, en était enseignant à l’A.F.P.A.

Paul Théron avait succédé directement à François Tête à la présidence d’ADELI. Paul avait écrit, seul, un ouvrage autour du Méthodoscope.

La Compagnie Bull, dans son centre de formation parisien (interne et client), enseignait L.C.P. (logique de construction des programmes) et L.C.S. (logique de conception des systèmes d’information), avant L.C.E. (logique de conception de l’exploitation). Jean-Dominique Warnier y était, au départ, responsable d’une équipe de cinq personnes, avant que ces effectifs ne diminuent.

La pénétration des méthodes Warnier aux États-Unis avait été pilotée par Kenneth Orr. Celui-ci en avait surtout conservé la forme des diagrammes, discipline peut-être trop cartésienne ou exigeante à son goût (?), sans toutefois en reprendre son approche hiérarchique par les données : F.L.S. (fichier logique des sorties), F.L.E. (fichier logique des entrées) et enfin seulement F.L.P. (fichier logique de programme).

Les ouvrages de Warnier étaient traduits dans de très nombreuses langues. Pour les pays de l’Est, Alain Coulon avait fait une brève incursion à Ijevsk en 1977, là où l’on fabriquait des motos IJ et aussi des Kalachnikovs (usine et périmètre strictement contrôlés !).

Les dirigeants de Bull (qui fabriquait et vendait surtout, au départ, du matériel, avant de s’intéresser de façon plus rapprochée au logiciel) n’ont pas été les principaux moteurs dans la diffusion des méthodes de développement de systèmes d’information. Ils appréciaient beaucoup, par contre, pour l’image de marque de la compagnie et de la France, de voir le nom de Bull dans les ouvrages de Jean-Dominique Warnier commercialisés par les éditions d’Organisation. André Rivière, alors patron du réseau commercial France, avait dit : Vous voyez, là aussi « on » avait de l’avance !


À lire aussi l’article d’Alain Coulon :

In memoriam François Tête

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