Concevoir les écosystèmes pour le monde qui vient  

Les écosystèmes pour le monde qui vient

par Pierre Berger, juin 2021

Quand j’ai commencé à me passionner pour ce mot, en particulier à la lecture de [Soriano], je restais, au fond, dans une optique « système », il suffisait de voir ce qu’y ajoutait le préfixe « éco » : quelques équations et paramètres de plus… Trouver la bonne définition ! À la Descartes, partant du connu, le système, construire l’étape suivante en complexité.

Et puis j’arrive au sentiment que, hors le monde biologique, tout est ou n’est pas écosystème… cela dépend surtout de quel œil on le regarde, avec quels mots on en parle, avec quelle main on veut agir sur lui, avec lui.

Si l’on veut tout voir du point de vue informatique, on peut voir dans le passage de système à écosystème essentiellement la conséquence de la montée en puissance de l’informatique, de la présence toujours plus envahissante du numérique.

Une première vague numérique (1960-1980) a mis « système » en vogue, avec un élargissement aux problèmes humains par la « systémique ». Cette première vaque est laminée par le capitalisme sans frein (1980-2020). La vague numérique actuelle, conjuguée avec les menaces écologiques (Covid compris), met en avant l’écosystème.

Dans cette affaire, humain et technique sont profondément mêlés. L’évolution de l’informatique est à la fois cause et résultat. Et les deux sont de plus en plus intrinsèquement liés.

L’écosystème

 

 

Écosystème : le mot est lancé en 1935 par un écologiste anglais, A.G. Tansley selon [Obum]. Il est presque synonyme de biotype.

On peut informellement utiliser le mot dans un sens figuré, comme « milieu organisé » (Le Robert).

Il est intuitivement simple.  Tout le monde a en tête une mare, la forêt amazonienne…  Il est aussi un peu vague, avec des connotations écologiques, donc dans le vent… Mais, comme nous le verrons, autant « système » peut presque se réduire à une froide ingénierie, autant « écosystème » évoque inévitablement les sciences humaines et… la politique.

Outre son sens d’origine, biologique, « On trouve de plus en plus d’usages métaphoriques de l’écosystème pour désigner un ensemble d’entités qui interagissent dans un environnement. « En économie, un écosystème est constitué d’un regroupement d’entreprises d’une filière et de leurs parties prenantes (clients, employés, fournisseurs, sous-traitants, pouvoirs publics…), qui ont en commun un projet de développement dans le temps, encadré par des engagements pris les uns envers les autres. Dans un écosystème d’entreprises, chacun contribue à la création de valeur qui profite à toutes les entreprises, à la différence d’un cluster. » [Wikipédia]

On le trouve assez bien chez de hauts fonctionnaires comme Sébastien Soriano [Soriano] que chez IBM dans un contexte presque délirant : « IBM Quantum Hub forme l’écosystème à une nouvelle dimension de la programmation ». Mais on est bien dans l’esprit du concept « Les partenaires ont une relation bilatérale avec IBM Quantum, centrée sur l’accès aux systèmes IBM Q aussi bien qu’à un travail commun significatif avec les chercheures et les ingénieurs d’IBM.» (notre traduction) .

Pour essayer de le comprendre, et d’en voir la portée pratique pour les informaticiens, faisons une excursion à son ancêtre, le système, et la doctrine correspondante, la systémique.

Premières approches « systémiques », années 1950-60 

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De l’ordinateur (IBM 360) à la psychologie (école de Palo Alto)

Le terme « système » remonte à la Grèce antique, et signifie, en bref : ensemble organisé (voir [Système]). Il peut être conceptuel ou concret. La nouveauté fondamentale qu’apporte l’informatique est que, par la programmation, un système conceptuel (le texte d’un programme) peut devenir un système concret s’il est implanté sur un ordinateur.

Dans les années 1960, il est notamment employé dans deux domaines

  • les systèmes d’exploitation des ordinateurs ; je pense qu’il est lancé par IBM, sous le nom d’OS pour sa série « 360 » ; on le pilote avec le JCL (Job Control Language), difficile à manier et qui reste l’exclusivité du constructeur ; le rapport Nivat [Nivat], document essentiel à l’époque en France pour les idées et la recherche informatique, y fait une brève allusion et considère le sujet comme complexe ;
  • l’école psychologique de Palo-Alto développe une approche systémique de la thérapie familiale [Palo-Alto].

La montée de la systémique au cours des années 1970

 

Le terme va connaître un développement considérable dans la France des années 1970. Il fait converger différents efforts qui cherchent à mieux cadrer la conception et le développement des applications.

Il trouve alors ses racines :

  • chez les organisateurs, notamment les travaux du [Cnof] (Centre national de l’organisation française), fondé au début des années 1930, et du [Scom] (Service central de l’organisation et des méthodes), mis en place dans le cadre du Plan Marshall pour accroître l’efficacité de l’Administration française ; une des stars des SSII de l’époque, Robert Mallet, quitte d’ailleurs la CGO pour fonder la CGI ; le mot « organisation » est aujourd’hui assez peu employé, que ce soit comme désignation de personne morale (entreprise, administration) ou comme processus ; c’est moins vrai dans les pays anglo-saxons, comme le montrent par exemple [Daft] ou [Robbins] ;
  • après la guerre, l’organisation est fortement liée à la productivité ; dans l’assurance, par exemple, suite à un voyage aux États-Unis je crois, est fondé le Capa (Comité d’action pour la productivité dans l’assurance), dont une des stars sera le président du groupe Drouot avec son grand centre de calcul à Marly ;
  • dans les « mathématiques modernes », alors très à la mode, sous la pression notamment de [Lichnerowicsz] ; c’est l’époque où il fait bien de dire « l’intersection de l’ensemble des programmeurs et de l’ensemble des comptables est vide », plutôt que « les comptables ne comprennent rien à la programmation ; on peut d’ailleurs considérer que système est une généralisation de « système d’équation », relation que l’on trouve d’ailleurs, je crois, chez [Bertalanffy], un des pères de la discipline ;
  • le concept de système est assez bien en phase avec l’intelligence artificielle de l’époque, à base logique ;
  •  dans le besoin des constructeurs d’ordinateurs, et notamment d’IBM, en pleine montée de puissance, tient à s’affranchir du pouvoir des directeurs financiers et comptables, trop peu techniciens, mais trop méfiants d’investissements qui s’avèrent lourds. On crée un nouveau vocabulaire (ordinateur, informatique) et on embauche des promotions entières de polytechniciens.

Il en découle une floraison de « méthodes », et l’on peut citer nombre des ténors de l’époque : Martzloff, Bauvin… voire Lussato…  (on trouvera des références détaillées dans mon dictionnaire de l’informatique [AHDico_Methodes].  

Jacques MélèseOn a oublié Jacques Mélèse [Meleze], dont les pages sont encore presque d’actualité en 2021 et son « entreprise à complexité humaine ».

 

 

 

 

 

Ces idées et en particulier leur grand promoteur, Jean-Louis Le Moigne, qui promeut l’expression « système d’information » [1] sont loin de faire l’unanimité ! Mais il va faire jouer un rôle majeur à l’Afcet, qui se dotera d’un collège de systémique.

Le congrès « Modélisation et maîtrise des systèmes techniques, économiques et sociaux » organisé par l’Afcet à Versailles en 1977 [Afcet] porte l’espoir d’une vaste convergence rationnelle entre les technologies, les sciences mathématiques et les sciences humaines. C’est l’époque où le président de la République [Giscard d’Estaing] peut prononcer à l’Unesco un discours « Informatique et Société » qui peut encore impressionner aujourd’hui.

Pour autant, dès l’ouverture du congrès, le mathématicien René Thom [Thom], très en vogue à l’époque, notamment pour sa « théorie des catastrophes », jette un froid avec un discours très critique du concept de système.

Pour lui, on peut grosso-modo définir les modèles comme des systèmes réels ou abstraits destinés à simuler une partie du réel. Et on les classifie selon deux critères :

  1. le contenu du modèle : ce qu’il est : système réel ? système abstrait : quantitatif ou qualitatif ?
  2. la fonction du modèle : le modèle a-t-il pour but : d’interpréter le réel, de tester une hypothèse, d’agir sur le réel de le comprendre ?

Il en dresse un tableau qui montre la variété des sens possibles :

système

Pour Thom, il y a donc des systèmes réels et pratiques. Ils peuvent être

  • un modèle, une description, à fonction herméneutique
  • une réalité opérationnelle.

(Note :  On peut considérer qu’un programme (informatique) est un cas intermédiaire :

  • en programmation a = b ;  est une opération,
  • en mathématiques a = b est une description, une assertion.)

Par la suite, les aspects mathématiques ou physiques vont se laisser oublier, et la systémique portée vers la complexité, avec notamment [Crozier] ou [Morin]. «Système» devient plus philosophique que technique.

En allant des schémas techniques de Forrester à l’épistémologie holiste d’Edgar Morin, la systémique va même prendre un tour social avec les lois Auroux.

La grande époque de la systémique se situe donc à mi-chemin entre des approches formalisantes et des vues plus floues et techniquement moins ambitieuses de la philosophie.

Du point de vue des utilisateurs, cette période a été étudiée en profondeur par la thèse (lisible en ligne)  L’informatique de gestion, entre technique pure et outil de gestion de Marie-Aline de Rocquigny [Rocquigny] en 2015.

À titre personnel, en tant que journaliste et rédacteur en chef d’une revue assez influente, Informatique et Gestion, j’ai fait mon possible pour encourager cet accord de l’humain avec la machine.

Cette belle convergence tente de se concrétiser dans le domaine de la recherche en informatique de gestion.

 

D’Orsay à Caen (à la Chambre de Commerce) un bel envol et un effondrement.

Un premier colloque se tient à Orsay en 1973, sous l’égide de l’Iria (maintenant Inria) avec un large éventail d’intervenants de différentes disciplines et de DSI.  J’en publie un substantiel compte-rendu [Inforsid].

L’idée est reprise et précisée au colloque d’Aix-en-Provence en 1975, qui lance plusieurs groupes de travail spécialisés pour former des équipes et attribuer des budgets. On se donne rendez-vous en 1976 à Caen. Là, hélas, c’est un échec pour tout le volet « sciences humaines ». La déroute est due en partie à Le Moigne, dont la présentation est faible, plus encore à celle du groupe chargé de la sociologie : « Ah, c’était bon ce séminaire en Corse, on a bien profité de la plage ! ».  Elle tient aussi à la grande difficulté de faire converger sciences « humaines » et « sciences exactes » [2]

(C’est aussi pour moi un drame personnel, vu l’importance que j’attachais à ces développements). Tous les crédits iront aux volets techniques.

L’association Inforsid se constituera en 1982, mais restera définitivement marginale, quoique bien vivante dans son milieu [Inforsid]. L’Afcet disparaîtra. L’Asti qui lui succédait d’une certaine manière se dissoudra dans la SIF, trop heureuse de se faire héberger par l’Institut Henri Poincaré, haut lieu de la mathématique française.

La systémique survit tout de même grâce à l’[Afscet], qui organise au moins une fois par an un colloque au Moulin d’Andé.  En 2021, elle a pris pour thème : “Crise systémique : catastrophe et/ou métamorphose. »

L’écrasement de la systémique par le libéralisme

Mitterrand, Reagan, Friedman, Supiot

À partir de 1980, le grand appel à ce qu’on appelle aujourd’hui la responsabilité sociale, voire la « mission » est radicalement mis au placard par le libéralisme (certains préfèrent parler de capitalisme [3] ) de Reagan et de [Friedman]. Au point qu’un François Mitterrand lui-même est obligé (en 1984) de s’y rallier et de jeter aux orties le programme qui l’avait amené au pouvoir. Cette évolution est notamment décrite et expliquée (pour ce qui concerne la France) par [Soriano] pp. 40 et suivantes.

[Supiot] a montré comment on ramène tout à des chiffres.

Dans cette optique, les entreprises ne doivent avoir d’autres objectifs que de rémunérer au maximum leurs actionnaires (et leurs dirigeants à des niveaux parfois obscènes). L’État ne doit rien faire d’autre que de leur faciliter la vie, en se gardant de réglementer, en oubliant les lois antitrust et en abaissant les impôts sur les sociétés comme sur les particuliers les plus favorisés. De Macron à Trump et à Xi Jinping.

La gouvernance des systèmes d’information s’y plie elle aussi. En 1982 encore, les lois Auroux [Auroux} associent les salariés à la gouvernance des projets informatiques. Mais elles sont vite oubliées, et l’on se concentre sur des mesures de pure performance, les KPI (key performance index), assortis cependant de conseils moins « numériques », les « best practices ».

Les idées libérales ne se sont pas laissé entamer par les folies récurrentes des banques (FTS, subprimes) [Banque] ni par les « optimisations fiscales » des multinationales. On peut certes mettre à leur crédit les magnifiques réalisations du Gafa, dont tout le monde est client tout en le critiquant.

Le séisme Covid

L’ambiance commence à changer dans les années 2010, principalement sous les menaces -toujours plus lourdes – sur le climat et des autres formes de pollution.

Nombre d’entreprises et d’investisseurs commencent à prendre en compte des critères extrafinanciers (écologie, éthique, parité des genres, inclusivité) et plus récemment à se donner des « missions », ne serait-ce que pour mieux motiver leur personnel, en particulier les jeunes diplômés. 

Dans cette atmosphère survient le Covid.  Il met en lumière, par exemple, les effets d’une gestion hospitalière par la pure performance, avec une réduction des lits comme des stocks [Hôpital].

Le Covid, comme la peste noire au 13e siècle, restera peut-être comme un exemple de destruction créatrice, diront les adeptes de [Schumpeter]. Tentons positivement d’y voir la possibilité/nécessité de ce qui pourrait être un nouveau paradigme, l’écosystème. J’aime lire « Les confinements, une brèche pour rebondir » à propos des jeunes [Le Monde].  Voir l’analyse de l’Académie des technologies [Covid]

Mais surtout, il oblige les gouvernements à renoncer à l’orthodoxie libérale. Le « quoi qu’il en coûte » de Macron résume ce retournement.

Dans ce contexte, la victoire des démocrates aux États-Unis [USA] vient concrétiser ce retournement. Et même la Chine commence à faire peser sur ses milliardaires une main de fer inimaginable en Occident.

L’informatique elle-même est marquée par ce retournement. Jusque-là, même si la technique passait du « master-slave » au « peer-to-peer » en passant par le « client-serveur, l’informatique restait essentiellement centralisée et concourant à l’intégration des États comme la concentration des entreprises.

Mais, paradoxalement grandissent les réseaux sociaux ; ils permettent à des groupements de se constituer spontanément et sans leaders marqués, mais capables d’actions puissantes ([Gamestop], Gilets Jaunes, Black blocks, djihadistes…).

Et l’on assiste à des remises en cause sidérantes des hiérarchies traditionnelles, au point qu’un président des États-Unis peut se voir censuré par Twitter, Facebook

L’écosystème : un espace conceptuel à meubler

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C’est le livre de [Soriano] qui m’a poussé à travailler le concept d’écosystème, car il emploie souvent le mot dans son livre passionnant mais mal titré : Un avenir pour le service public. Un nouvel État face à la vague écologique, numérique, démocratique.

 

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Mots typiques chez Soriano 

Bien. Mais pour l’instant, dans les domaines qui nous concernent, en particulier l’informatique, le mot « écosystème » reste creux. Et la systémique ne peut guère nous y aider :

  • tantôt elle est essentiellement mathématique, alors que les écosystèmes ont une existence biologique et, dans le cas des sociétés humaines, psychologique (valeurs, acceptabilité…), qui ne se laisse pas réduire en équations,
  • tantôt elle est essentiellement philosophique, et pas suffisamment conçue pour l’action.

Écosystème répond à plusieurs évolutions :

  • l’écologie est une préoccupation forte ;
  • un écosystème est plus complexe, donc correspond mieux au développement actuel des technologies vers 2020, et en particulier de l’informatique ;
  • il est en phase avec des valeurs plus « à gauche » (écologie, responsabilité).

Un point important tout de même : les écosystèmes « naturels » sont stables. Soit ils évoluent selon des cycles de vie connus (essaimage des abeilles), soit ils évoluent très lentement, pas forcément dans le bon sens (parcs nationaux américains).

Proposons quelques principes.

  • un système fonctionne, un écosystème vit,
  • on maîtrise un système, on fait grandir un écosystème,
  • un écosystème doit être protégé (cybersécurité !!!),
  • un système est une abstraction, un écosystème est concret,
  • on est toujours « dans » un écosystème (emboîtements),
  • c’est un territoire avec des habitants, autonomes mais communicant,
  • les habitants contribuent, il y a donc accord (implicite ou délibéré) sur les valeurs.

Les écosystèmes humains, les civilisations, ne sont pas si « mortels » qu’on l’a pensé un moment.
En partie parce que la « transgression » est essentielle à l’humain.

Écosystème a certes des consonances misarchistes [Misarchie]. Mais, en tous cas les médias classique (presse écrite, radio et télévision) fonctionnent toujours beaucoup sur des images de leaders.  Biden, Xi Jinping, Macron…

Finalement, on pourrait dire :

  •  au sens figuré, n’importe quoi est un écosystème ;
  • employer le mot, c’est adopter une attitude que l’on pourrait dire « écologique ».

Des habitants, humains et machines

Les habitants : acteurs, partenaires, parties prenantes…

En partant du schéma de Legrenzi et Rosé [Legrenzi], je propose, à titre tout à fait provisoire :

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Là je m’écarte des discours habituels sur les écosystèmes : on y voit des humains ou des animaux, mais les machines en sont absentes. Et pourtant elles sont de plus en plus présentes, et de plus en plus puissantes.  Mais peut-on dire qu’elles sont autonomes ? Cette question a fait  réfléchir de nombreux auteurs. Voir [Berger_Autonomie].

Des habitants autonomes

Ici, le débat est souvent engagé sous forme binaire : on est autonome ou on ne l’est pas. Exemple typique : « un humain, et même un chat voire une souris est autonome une machine ne l’est pas ».

Humains, sommes-nous autonomes ?

Sommes-nous si libres, si autonomes que cela ?  Vaste question, qui relève aussi bien de la philosophie que de la politique ou de l’organisation des entreprises. Rappelons quelques évidences.

Du point de vue psychologique, les auteurs mettent en avant :

  • soit le caractère fondamentalement irréductible et sacré de la liberté : Sartre, Nietzsche,
  • soit au contraire le caractère illusoire de cette liberté :  La Rochefoucauld, Freud, psychiatrie,
  • soit l’évolution de cette autonomie au cours de la vie : enfance, maturité, vieillesse et/ou maladie.

Les sociologues peuvent s’interroger sur la diversité et la répartition statistiques de la demande de liberté. Expériences de [Desor] sur les rats plongeurs.

Du point de vue politique, la démocratie est une sorte de milieu entre l’anarchie et la dictature. C’est évidemment le cœur de la réflexion de [Soriano]

Du point de vue de l’organisation, on navigue entre horizontalité et verticalité.

L’approche écosystème est certes plutôt orienté vers l’encapacitation (enabling)  et la motivation de chacun. Reste à voir comment cela peut s’appliquer au personnel informatique… Entre les laboratoires de Google et le service informatique d’une entreprise ordinaire, parle-t-on de la même chose ?

 

Le japonais [Azuma] propose ici un modèle instructif, qu’il a construit à partir des otakus, ces additcts du petit écran. Cela va tout à fait dans le sens du respect typique de l’approche « écosystèmes ». Il oppose le « grand récit » imposé à la base de données où chacun trouve son grain à moudre.

C’est en phase avec la mentalité des GenZ : « Ils ne cherchent pas à tout savoir sur tout, tout le temps. Ils préfèrent aller chercher l’info quand ils en ont besoin » (Les Échos 29/3/2021). Là comme ailleurs, avoir accès plutôt que posséder.

Autonomie des machines

Et les machines ?  [Asimov] a montré, sous forme romancée, que la question ne peut pas se réduire à des « lois ». Mais nombre d’auteurs ont essayé de préciser la question et d’en voir les aspects pratiques.

[Melese] y consacre sept pages, mais sans modéliser et sans se poser la question de l’autonomie des machines.

Paul Scharre [Scharre] un militaire américain qui a dressé un vaste inventaire des systèmes d’armes autonomes et des problèmes qu’elles posent, propose un modèle :

  • l’autonomie est un paramètre qui varie de 0 à 100% ;
  • l’homme est dans la boucle, sur la boucle, hors de la boucle ;
  • les dimensions de l’espace d’autonomie (espace matériel, temps, diversité des actions) ;
  • degré d’intelligence (c’est le mot qu’emploie Scharre, je préférerais complexité, au sens de Kolmogorov : « La complexité d’une suite numérique est définie la longueur du plus court programme qui peut la produire »).

J’ai [Berger 99] moi-même proposé une formule, discutable et applicable uniquement à des cas particuliers, et qui correspond assez bien à une mesure de l’espace d’autonomie selon Scharre,

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Mais en y ajoutant le critère d’imprévisibilité (néguentropie).

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Capture d’écran de l’intervention de Ben Schneiderman

Plus subtilement, [Shneiderman], dans son exposé sur l’Human Centered AI, veut dépasser les modèles à somme nulle et cherche à maximiser en même temps le contrôle de l’humain et l’autonomie de la machine.

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Enfin une équipe de chercheurs animée par Stefan Seidel [Seidel] s’est placé dans une optique de développement de systèmes avec intervention d’outils autonomes de design. Nous y reviendrons.

Des habitants qui communiquent : quel langage, quelle transparence

Deux questions-clés :

  • Comment s’entendre ?  Parler le même langage, c’est toute une histoire !
  • Quelle transparence ? Il faut avoir son « quant à soi ». Mais il ne faut pas non plus saturer les capacités cognitives des autres.
  • Une certaine épaisseur. Le demi-mot

Des habitants qui contribuent : quelles valeurs ?

Dans un écosystème, tout le monde profite et apporte à la fois (même les parasites. ?) .

Mais en quoi consistent ces contributions, dans un monde qui n’est plus celui de Milton Friedman ?

  • le financement et sa rétribution (pour les actionnaires), le chiffre d’affaires (clients),subventions et impôts (État) ;
  • production, produits et services (salariés, sous-traitants, conseils) ;
  • idées et données (un peu tout le monde) ;
  • externalités : mission, sens, ETF, ESS…

Valeurs : la productivité, le rendement, le profit, le plaisir, le bonheur personnel ou commun…

On peut aller très loin dans les calculs, surtout du point de vue boursier. Le [Koller] a 811 pages!

Donc une gouvernance

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C’est-à-dire l’organisation des relations entre les parties prenantes.
Qui suppose notamment des normes (morales, techniques).

Quelques exemples d’écosystèmes

 

Commerce (caisse automatique), connaissances (Wikipédia), développement (Salesforce), santé.

Le numérique oblige à dépasser le concept de « système »

Si l’on passe de système à écosystème, c’est en partie parce que le développement exponentiel (bon…) de l’informatique ne permet plus d’encadrer les organisations et la planète en général dans la rigueur efficace mais réductrice des « systèmes ». Et cela joue simultanément sur quatre tableaux : mémoire, communication, « intelligence », non tellement dans leur valeur absolue que dans leur relation aux caractéristiques des humain(e)s.

“Je rêve de faire pivoter Renault : passer d’une boite de véhicules qui intègrent de la tech à une boite de tech qui intègre des véhicules” (Luca de Meo, Le Parisien  27/4/2021)

Le big data

La quantité de données par personne se compte aujourd’hui en téraoctets (à vérifier). Nous ne pouvons connaître qu’une infirme partie du big data en général et même simplement des données qui nous concernent.
Nous sommes donc contraints à une certaine humilité.

L’épaisseur « technique »

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Si l’on a plus de données, l’information devient plus « épaisse »

 

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De l’hyperréalisme à l’impressionnisme

 

Quand les pixels dépassent une certaine densité, ils deviennent invisibles pour nous (pouvoir de résolution de la rétine). Nous sommes donc poussés à une certaine « épaisseur » de trait. Un peu comme les impressionnistes ont dû sortir de la sidérante précision d’un David ou d’un Ingres pour accéder à de nouvelles visions.

Le « contexte »

Sur tout sujet, pour toute action, nous disposons d’un énorme « contexte ».

On se plaignait hier de « n’être qu’un numéro ». On se plaint aujourd’hui d’être une masse de données.
Ne serait-ce que la localisation

Communication : les réseaux

C’est la tarte à la crème.
Non seulement par leur débit sur toute distance, mais aussi par leur capacité à générer des sous-systèmes autonomes et plus ou moins anarchiques.

« Intelligence »

Même sans parler de l’IA forte !  Mais développons deux points particuliers.

En matière d’information : la nature ne nous a pas attendu : tous les écosystèmes comportent une part considérable d’information, tout être vivant, sauf à la limite une bactérie isolée, comporte un nombre important de systèmes d’information, à la base, chaque neurone, au niveau plus élevé, les différents systèmes sensoriels et moteurs.

De quels écosystèmes s’occupent les équipes informatiques d’une entreprise ou d’une institution, pour les développer, les maintenir, les dépanner et les faire évoluer. Et, de là, comment peut-on définir les bonnes pratiques des responsables et les évaluations des auditeurs ?

On peut énumérer les types suivants :

  • la communication interne de l’entreprise en général, avec ses serveurs, les postes de travail de son personnel, en local (j’allais dire « on premise ») ou en distanciel ;
  • les applications essentiellement immatérielles : relation client, relations humaines, comptabilité/contrôle de gestion
  • les applications à composante matérielle : production, logistique ;
  • les systèmes matériels/logiciels relativement autonomes : robots, drones, véhicules, systèmes d’armes.

Sauf les systèmes strictement localisés (bureautique locale, machines-outils), tous ces écosystèmes font intervenir des systèmes externes, soit simplement pour la communication (messagerie, télétravail, soit pour la sous-traitance (cloud) ;

Mais de plus en plus la communication devient interactive avec des écosystèmes extérieurs plus ou moins complexes.

Cas assez simple : le compteur Linky d’EDF.
Cas plus complexes : péages routiers ou des transports en commun
Cas potentiellement très complexes : systèmes d’information globaux entre une entreprise (ou administration) et ses partenaires.  Par exemple pour la distribution alimentaire, toute la chaîne basée sur les codes-barres et maintenant les QR codes.

Des écosystèmes matériels

De gauche à droite :

  • L’IBM 1401 et sa périphérie
  • L’Intel 4040, premier microprocesseur. Mots de 4 bits.
  • un GPU : des centaines d’« excutive units »
  • une « ferme » de processeurs. Le mot même est typique !

Les machines elles-mêmes sont de plus en plus organisées en écosystèmes.

Et d’autant plus que les matériels peuvent devenir eux-mêmes évolutifs [Evolvable], en utilisant notamment les FPGA (Field programmable gate arrays).

Cloud Vs. On Premise… de plus en plus compliqué !

Android, le cloud, simplement.  HP Hyperconvergence, IBM Cloud Satellite

Les systèmes d’exploitation actuels sont des écosystèmes, gérant un grand nombre de processus et d’applications. En particulier sur les téléphones, où non seulement les applications indépendantes sont nombreuses, mais où aussi, que l’utilisateur le veuille ou non, grouillent de multiples processus de communication avec capteurs et traitements spécifiques pour l’affichage, la frappe au clavier, la localisation GPS, et bien sûr la gestion des messageries.

Le cloud, ce n’est pas nouveau. Les grosses machines informatiques, même à cartes perforées, ont toujours été utilisées plus ou moins à distance, même quand il fallait transporter les données sous forme de cartes ou de rubans. Très tôt, le télétype est utilisé comme moyen de dialogue. Or un télétype, qu’il soit à proximité ou à l’autre bout du monde, peu importe.

Dans les années 1960, le time-sharing est fréquent pour le calcul scientifique. Et Pierre Lhermitte aurait rêvé, dit-on, d’une « IDF, Informatique de France » sur le modèle d’EDF. Aujourd’hui le cloud prend de plus en plus d’importance. Psychologiquement, cela va de pair avec une psychologie de l’accès plutôt que de la possession. La 5G va encore favoriser son développement, puisque selon certains « il n’y aura plus de problèmes d’infrastructure ».

Mais ce qui frappe, récemment, ce sont des offres complexes de la part de fournisseurs comme IBM et Hewlett-Packard

IBM Satellite Cloud [IBM_Cloud]. Pour des raisons de sécurité, de performance, de coûts, ce service gère en mode cloud des opérations qui sont traitées sur une machine on-premise. La communication est assurée par une ligne spéciale, sécurisée, où ne transitent que les informations de gestion.

HP Hyper-convergence [HPE_Hyper]. Le fournisseur propose une architecture potentiellement complexe, par exemple avec les données sur une machine (un site) et le traitement sur un(e) autre.

Le Devops

 

Cette logique de populations nombreuses de machines matérielles et logicielles, évoluant en permanence, conduit à ne plus penser en termes de projets monolithiques, mais avancer par étapes, éventuellement en parallèle. Apparu en 2007, c’est le Devops :

  • ne plus séparer développement et production,
  • oublier le « waterfall »,
  • penser en micro-services,
  • décomposer en étapes associant développement et production.

Alain Sacquet [Sacquet] y a consacré un ouvrage, et récemment exposé au Club européen pour la gouvernance des systèmes d’information [ceGSI], les problèmes que cela pose en sous-traitance. Les phases s’enchaînent, où en est-on, comment et quoi paye.  Conclusion d’une spécialiste : ne pas se focaliser sur le contrat, mais sur une relation de confiance.

Voir [Wikipedia_Devops]. Il y a nombre d’articles sur le site [Splunk]

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L’esprit « écosystème » exclut la table rase. Et dans toutes les organisations autres que les start-ups, il reste souvent un parc important de mainframes gérés de manière traditionnelle et souvent programmés encore en Cobol. C’est la legacy.

En outre, certains services métier peuvent avoir leurs propres machines ou services, sans trop de liaison avec le service informatique. C’est le « shadow IT », qui rappelle l’ « informatique sauvage » des années 1980.

Dans une logique d’encapacitation, mot encore rare (traduisant soit enabling soit empowerment, voire agency), il serait logique d’encourager les utilisateurs, aussi bien les individus que les services « métier » à développer eux-mêmes leurs applications.

C’est bien ce qu’ils font avec les macros d’Excel et VBA. Avec des inconvénients connus : micro-applications peu performantes, éventuellement redondantes, difficiles à réécrire correctement quand leur complexité dépasse les compétences et la disponibilité de leurs auteurs, mais surtout non documentées et difficiles à pérenniser quand leur auteur quitte l’entreprise. Une autre forme de legacy !

On a employé le terme informatique sauvage autour de 1980, avec l’apparition de micro-ordinateurs acquis par les services utilisateurs sans demander l’aval de la direction informatique. Cette pratique avait d’ailleurs des antécédents avec certains emplois du “time sharing” ou du “service bureau”. Sans parler d’arrangements officieux entre certains utilisateurs et les équipes d’exploitation, qui remontent au moins jusqu’à l’époque des cartes perforées (années 1930-1970).

Les informaticiens eux-mêmes peuvent faire des développements très « locaux ». Un jeune développeur me dit « Dans mon équipe nous créons parfois nos propres outils, nos propres librairies, parce que nous n’avons pas trouvé une librairie préexistante qui corresponde à nos besoins, mais nous faisons ça proprement et avec une documentation. »

Concevoir les écosystèmes pour le monde qui vient   55Au niveau de direction métier, on peut citer l’application de market automation de l’AFP, [AFP] développée indépendamment de la DSI bien que celle-ci ait en cours un projet de CRM. Voir aussi le film DSI Thriller, l’intégration de données, de Philippe Rosé [Rosé]. Le ton est à l’humour, mais un DSI m’a dit « Ce n’est pas drôle, tellement c’est conforme à la réalité ».

 

 

 

Concevoir les écosystèmes pour le monde qui vient   56Si je peux me permettre une note personnelle, et un petit souvenir de l’Adeli : c’est dans cet esprit que je développe depuis 20 ans mon programme [Roxame], avec quelques milliers de micro-services pilotés par une boucle minimale d’enchainement et un dictionnaire qui permet la constitution de macro-instructions par simple concaténation. L’Adeli m’avait fait l’honneur de le présenter à l’occasion de son trentenaire en 2008.

 

 

 

Loin de cette optique d’encapacitation, le marché actuel pousse à une tout autre forme de développement … écosystémique, le RPA.

Le RPA, robotic process automation

Humour RPA.  Essaim de drones militaires. Peloton de véhicules. Circulation urbaine

Les populations nombreuses de petits « robots » utilitaires conduisent au RPA.

Le fourmillement des « bots »

Le RPA (Robotic Process Automation  [RPA_Wiki]) a pour objet de développer des robots logiciels pour accomplir des tâches de routine, à base de règles.  Il s’agit d’automatiser des tâches comme valider la vente de primes d’assurance, traiter les demandes de règlement d’assurance maladie ou générer des factures de service public. Si le développement est bien conduit, on obtient des équipes performantes associant humains et robots.  IBM estime le marché à 10,6 milliards de dollars à l’horizon 2027 [IBM_RPA].

C’est un des modes de développement de multiples outils automatiques, purement logiciels ou employant des matériels, qui peuplent les écosystèmes de manière de plus en plus dense. Si l’on compte les téléphones et demain tous les objets connectés, les humains seront de plus en plus minoritaires !

À quoi il faut rajouter les nuées de bots lancés anonymement sur les réseaux soit pour saturer un site ennemi (déni de service) soit pour influencer les électeurs.

Et pourquoi pas aussi considérer la « legacy » comme de gros vieux bots dont les créateurs ont disparu sans laisser de documentation ?

Et ces habitants plus ou moins autonomes s’organisent en essaims (drones notamment), pelotons (véhicules plus ou moins autonomes sur route). La connexion va de pair avec l’autonomie. Et par exemple la circulation automobile d’une zone urbaine devient un vaste écosystème.

Concevoir les écosystèmes pour le monde qui vient   61

L’automatisation du développement

Mais le RPA ne s’arrête pas là.  Leur développement est lui-même automatisé, « le système apprend la liste des tâches à automatiser en observant le comportement d’utilisateurs humains ».

Allons-nous vers un monde sans programmation, comme vers un monde sans science [Berger_Science] ? On s’est posé la question de la disparition des programmeurs dès les années 1960, parce que l’on croyait que les langages de programmation (à commencer par Cobol) pourraient être maîtrisés directement par les utilisateurs. On en est revenu. Mais le RPA et l’IA en général posent la question de bien autre manière !

La gouvernance des relations humains-bots !

Dans les écosystèmes qui se construisent, il va donc falloir gérer la coexistence de ces deux populations. Les grands consultants ont déjà formulé leurs recommandations. Par exemple le Forrester Group avec ses « dix règles d’or » [Forrester]. Et IBM bien sûr.

Mais, avec d’autres mots, la Banque de France a consacré en 2020 une grosse étude sur la « Gouvernance des algorithmes d’intelligence artificielle dans le secteur financier » [APCR]. On notera que le simple fait d’employer ici le mot « gouvernance » plutôt que « contrôle » ou « pilotage » est une reconnaissance au moins implicite de la position « pair à pair » des algorithmes et robots. Il faut dire que le monde de la Finance en a une longue habitude avec les FTS (Fast Transaction Services).

Parmi les points importants à gérer :

  • l’inquiétude des salariés face à des menaces sur leur emploi ;
  • l’honnêteté de la présentation aux utilisateurs : il ne faut pas leur faire prendre un robot pour une personne humaine ;
  • la responsabilité de ces acteurs, en particulier dans les accès qu’ils peuvent avoir à d’autres applications, sites et banques de données ; et ils doivent pouvoir expliquer leurs actions, ce qui peut s’avérer très difficile avec les réseaux neuronaux (d’où les travaux sur le XAI, Explainable AI (Voir [Gouvmeth_IA]) : Forrester recommande, par exemple, que l’on puisse suivre à la trace les actions des bots, et qu’à chaque bot soit associée une personne physique qui le contrôle ; est-ce toujours réaliste ?

Robot armé. Ouverture par badge.  Nudge. Assistant(e). Séduction mutuelle.

  •  les relations « d’autorité »; en principe l’autorité appartient aux humains ; en pratique, face à un péage du métro, à un radar routier ou à la localisation pour Google, c’est la machine qui commande ; cette autorité peut s’exercer de façon plus douce, par exemple avec les assistants des outils bureautiques ou le nudge, voire les jeux de séduction réciproques (robots Aibo dans le jeu « Petit chaperon rouge » ;
  • à la limite, on retrouve(ra ?) des situations comparables au « dilemme du tramway » entre humains et robots.

Innover quoi qu’il en coûte… c’est essentiel à l’humain

Des scientifiques aux économistes, des industriels aux militaires, de Washington à Pékin, l’impératif est général : il faut innover. Et en particulier en ce moment, pousser les feux de la transformation numérique… c’est-à-dire pour l’essentiel, automatiser.

On prend pour acquis, récemment encore [Travel], que l’emploi et l’humain suivront. Et en ce milieu d’année 2021, ce sont plutôt les employeurs qui se plaignent du manque de main d’œuvre.

Les politiques s’en inquiètent, encore la semaine dernière, la Commission européenne à propos des assistants vocaux.  Mais c’est uniquement dans une optique de régulation de la concurrence [CEE].

À ceux qui s’inquièteraient trop, rappelons que les humains ont toujours cherché à résoudre les problèmes soit par l’immobilité, soit par l’innovation technologique. A commencer par nos « premiers parents » : mal à l’aise avec leur sexe, ils inventent la couture !

Il faut donc rester ouverts et créatifs, notamment avec le « design thinking » [Wikipedia_Design], [Auckenthaler] et [Mootee].

Mais pour conclure sur une vue générale, reprenons le schéma de [Seidel] :

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[1] Systèmes d’information

L’expression « système d’information » remplace souvent le mot « informatique ». Elle permet notamment de distinguer « système d’information » (IS) de « technologies de l’information » (IT). Comme on disait dans la Marine : « il y a les officiers de pont et les officiers de machines »… les uns sont sur la passerelle, les autres… au-dessous.

Personnellement, et malgré ma coopération avec Le Moigne aussi bien que tout ce que m’apporte aujourd’hui le [ceGSI] (Club européen pour la gouvernance des systèmes d’information), je continue à penser avec [Mélèse] que « les systèmes d’information ne conduisent conceptuellement qu’à une impasse ».

Le terme d’information lui-même ne manque pas d’ambiguïté. Dès l’ouvrage fondateur de Shannon et Weaver [Shannon] sur la théorie de la communication, Weaver insiste sur le fait que, dans cette théorie, on perd le « sens ». Ce qui conduit par exemple à opposer la donnée (data) à la connaissance…

L’expression a surtout (me semble-t-il) l’inconvénient de masquer le caractère opérationnel de l’informatique : un distributeur de billets, un péage d’autoroute, une caisse de supermarché et a fortiori un système d’armes ne se contentent pas d’informer, ils opèrent réellement, et on ne peut pas les réduire à de la technologie (« IT » contre « IS »).

Cela dit, l’expression s’avère bien pratique dans la vie des entreprises. Il est plus motivant, et sans doute efficace, d’être DSI que DI… Et un patron n’aimerait sans doute pas trop avoir près de lui un « DSD », un directeur des systèmes de décision : la décision, c’est lui-même ! Certains DSI sont devenus « DSIO » pour prendre en main l’organisation. Mais sans trop de succès.

Cela permet aussi de mettre à l’abri l’informatique de ses responsabilités en matière de décision (voir la partie « autonomie ».

[2] Sciences « humaines » et sciences « exactes »

Il faut dire, plus généralement, que les « littéraires » ont du mal à entrer dans les modes de pensée des informaticiens. Et réciproquement.  Même avec les efforts d’un Le Moigne, les sciences humaines sont pratiquement exclues du domaine de l’informatique. C’était marqué dès l’origine, à l’époque des « mathématiques modernes » de [Lichnerowicsz] et du rapport [Nivat] sur l’informatique théorique.  Voir [Mounier].

Cela remonte loin, à la coupure entre les « deux cultures) [Snow]. Étant personnellement un touche-à-tout autodidacte qui a goûté aux deux cultures, j’ai maintes fois constaté la grande difficulté du dialogue.

Les « littéraires » ont souvent suivi cette voie parce qu’ils n’étaient pas bons en maths. Voire pas tout à fait sérieux [Sokal]. Mais les scientifiques et les mathématiciens se croient facilement philosophes parce qu’ils ont lu quelques pages de Nietzsche ou Schopenhauer, voire Platon ; mais ils sont souvent d’une grande naïveté.  J’ai lu, par exemple : « Les mathématiques sont importantes parce qu’elles traitent de la nature des choses ». Pour un philosophe, « chose » aussi bien que « nature » sont des concepts qui ne se laissent pas facilement préciser.  Et Edgar Morin [Morin] intitule le premier tome de sa grande trilogie : « La nature de la nature ».

Outre l’absence de l’humain, « la science » n’a pas vu que les « systèmes d’information » sont devenus des outils et des machines de plus en plus autonomes, et non plus simplement des représentations.  L’expression elle-même masque cette évolution. Elle met hors champ tout le volet de l’automatisation. Un distributeur de billets, un péage ou une caisse automatique de supermarché sont bien de l’informatique. Mais leur vocation principale est d’agir, d’opérer, non d’informer.

Cela dit les débats sur la systémique ont été menés essentiellement des ingénieurs (aussi bien Robert Faure [Faure] que Jean-Louis Le Moigne J. Ils sont parfois violents.  Au colloque de Cerisy L’avenir de la recherche opérationnelle,  Pratiques et controverses (1979), où Robert Faure parle de « Mr Le Trouhadec saisi par la systémique » (Je n’en trouve plus trace).

Au 21eme siècle, on peut noter un certain envahissement de la psychologie par les neurosciences, et de la sociologie par les bases de données.

Mais la coupure reste nette. Voir notre note, peut-être trop pessimiste,  sur le campus [Condorcet].

[3] Il faudrait peut-être distinguer entre libéralisme et capitalisme

Certains considèrent que le libéralisme pourrait mener vers un écosystème d’entreprises (moyennant une réglementation contre la concentration) interagissant jusqu’à l’équilibre. Google écrit : le libéralisme est une éthique du capitalisme.


Références

[Adelstein]  Fundamentals of Mobile and Pervasive Computing, par Frank Adelstein, Sandeep K.S. Gupta, Golden G. Richard III et Loren Schwiebert. McGrawHill 2005

[Afcet] http://www.diccan.com/dicoport/AHDicnpa.htm

[Afcet_77] Modélisation et maîtrise des systèmes techniques, économiques et sociaux. Actes du congrès organisé par l’Afcet. Hommes et techniques, 1977.

[AFP] https://gouvmeth.com/?GouvBlog17

[Afscet] https://www.afscet.asso.fr/

[AHDico] http://www.diccan.com/dicoport/AHDico.htm).

 [AHDico_Méthodes] diccan.com/dicoport/AHDicncm.htm

[APCR] https://acpr.banque-france.fr/gouvernance-des-algorithmes-dintelligence-artificielle-dans-le-secteur-financier  en juin 2020, rapport suivi en décembre d’une synthèse des réponses à la consultation https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/20201215_synthese_gouvernance_evaluation_ia.pdf

[Asimov] I Robot, par Isaac Asimov. Suite de nouvelles à partir de 1940.

[Auckenthaler] Imagination 3.0. Welcome to the Imagination Economy where we are all invited into the innovation kitchen, par Brice Auckenthaler. Expertconsulting 2007 ou 2008.

[Auroux] https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_Auroux

[Azuma] Génération Otaku. Les enfants de la post-modernité. Hachette 2008 ( original japonais 2001).

[Banque] https://gouvmeth.com/?MotsComm#Banque

[Berger 99] L’informatique libère l’humain, par Pierre Berger. L’Harmattan, 1999

[Berger_Autonomie] https://gouvmeth.com/?MotsComm#Autonomie

[Berger_Science] Vers un monde qui se passe de science  http://www.diccan.com/dicoport/AHDico.htm).

[Bertalanffy] https://fr.wikipedia.org/wiki/General_System_Theory_(Bertalanffy) 1968

[CEE] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_21_2884  9/6/2021

[ceGSI] https://www.cegsi.org/

[Cerisy] http://www.ccic-cerisy.asso.fr/roTM79.html . Actes publiés par Hommes et Techniques en 1979.

[Cnof] http://diccan.com/dicoport/AHDicnpc.htm#Cnof

[Condorcet] https://gouvmeth.com/Blog1/Civic-News_50.html

[Covid] Présentation par Les Echos ArticleLesEchos_GestionCriseSanitaire[2558].pdf . Et le rapport complet (166 pages) en http://academie-technologies-prod.s3.amazonaws.com/2021/05/19/10/19/05/a418eacb-62cf-4f2c-83e7-1855a68a7023/RapportGestionCrise_AcademieTechnologiesFinaldef.pdf

[Crozier] L’acteur et le système, par Michel Crozier et Ehrard Friedberg, Seuil, 1977

[Daft] Organization theory and design, par Richard L. Daft, Jonathan Murphy et Jugh Willmott. South Western 2010

[Desor] https://www.etaletaculture.fr/culture-generale/les-rats-plongeurs-ou-la-reproduction-des-roles-sociaux/

[Encapacitation] https://en.wikipedia.org/wiki/Enabling

[Evolvable] ] Evolvable hardware – Wikipedia

[Faure] Robert Faure : ancien élève de l’École Normale Supérieure de l’Enseignement Technique ; Ingénieur du Conservatoire National des Arts et Métiers (spécialité Mécanique)

[Forrester]  Ten Golden Rules For RPA Success (forrester.com).

[Friedman] https://fr.wikipedia.org/wiki/Milton_Friedman

[Gamestop] https://gouvmeth.com/?MotsPropr#Gamestop

[Giscard d’Estaing] Informatique et Société,  https://diccan.com/Giscard.html  (texte complet mis en ligne)

[Gouvmeth_IA] https://gouvmeth.com/?MotsComm#IA

[Hôpital] Voir [Soriano] mais aussi La gouvernance dans le domaine de la santé : une régulation orientée par la performance   par André-Pierre Constandriopoulos. Santé Publique, 2008/2. Disponible en ligne https://www.cairn.info/journal-sante-publique-2008-2-page-191.htm

[HPE_Hyper] https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyper-convergence
https://www.hpe.com/fr/fr/integrated-systems/simplivity.html  et plusieurs autres article de ESG
https://www.informatiquenews.fr/wp-content/uploads/2020/08/Analyst-Report-HPE-lance-HPE-Nimble-Storage-dHCI-une-nouvelle-architecture-dinfrastructure-hyperconvergee-desagregee.pdf

[IBM] (Les Echos 25/5/2021) https://www.ibm.com/quantum-computing/network/members/

[IBM_Cloud] https://www.ibm.com/fr-fr/cloud/satellite?p1=Search&p4=43700060777589180&p5=e&gclid=EAIaIQobChMI75vC8ImL8QIV0_ZRCh1qvA_bEAAYASAAEgI7q_D_BwE&gclsrc=aw.ds

[IBM RPA] A no-hype buyer’s guide to robotic process automation | IBM

[Inforsid] Site actuel d’Inforsid : http://inforsid.fr/  . Colloque d’Orsay : http://diccan.com/Berger/Rechig.htm Colloque de Caen : http://diccan.com/Berger/Inforsid_76.html .

[Kurzweil] The Singularity is Near, par Ray Kurzweil, 2005. Disponible en PDF https://sites.google.com/a/eh.books-now.com/en24/9780715635612-81tiopeGEclamul22

[Legacy] Voir par exemple https://itsocial.fr/enjeux-it/enjeux-infrastructure/datacenter/quest-legacy-5-meilleurs-articles-legacy/

[Legrenzi] Pilotage du SI et de la transformation digitale ; les tableaux de bord de la DSI par Christophe Legrenzi, Philippe Rosé . Dunod 2020. Le mot écosystème apparaît une fois (page 201).

[Le Moigne] Les systèmes d’information dans les organisations par Jean-Louis Le Moigne. PUF,  1973. Et plus généralement, https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Le_Moigne

[Le Monde] Les confinements, une brèche pour rebondir, par Léa Iribarnegaray (Le Monde Campus 8/4/2021)

[Lichnerowicsz], qui fut le grand prêtre des « mathématiques modernes » https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Lichnerowicz , mais aussi le président du premier conseil  scientifique de l’Iria (devenu Inria).  https://www.inria.fr/sites/default/files/2019-11/Code_Source_1967-1977.pdf

[Koller] Valuation, par Tim Koller, Marc Goedhart et David Wessels. Mc Kinsey 1990… 2010) Rien sur la qualité des hommes et leurs méthodes. Ni sur l’informatique, d’ailleurs.

[Lussato] –Introduction critique aux théories des organisations. Par Bruno Lussato. Dunod, 1971. Avec cet ouvrage, lui aussi commence par tout chercher à bien mettre au carré. J’adore. Puis il pousse la logique jusuqu’à ses « chambres de contrôle » http://www.diccan.com/Autres_auteurs/Lussato/dirBase.html

[Mélèse] Approches systémiques des organisations. Vers l’entreprise à complexité humaine, par Jacques Mélèse . Hommes et Techniques, 1979.  Notre interview  http://www.diccan.com/Hebdo/sh47/sh47.htm, reprenant une interview d’octobre 1975.

[Misarchie] Voyage en misarchie, par Emmanuel Dockès. Editions du Détour, 2017, réédition en 2019. Et nos commentaires en https://gouvmeth.com/Blog1/Civic-News_70.html

[Morin] https://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin

[Mounier] L’informatique en France, de la seconde guerre mondiale au Plan Calcul, par Pierre-Eric Mounier-Kuhn. Pups 2010.

[Mootey] Design Thinking for Strategic Innovation, par Idris Mootee. Wiley 2013.

[Navidi] Superhubs. How the Financial Elite & their Networks Rule our World, par Sandra Navidi (Brealey 2017). – ”What do the brain, ant colonies and the financial system have in common ? They are all complex self-organizing systems”.

[Nivat] L’informatique théorique, par Maurice Nivat. Bulletin de l’Iria, mars-avril 1971 (ou année proche).

[Palo-Alto] https://www.cairn.info/journal-therapie-familiale-2008-4-page-513.htm

[Obum]  Fundamentals of Ecology, par Eugen P. Odum. Saunders, 1971.

[Robbins] Essentials of Organizational Behavior, par Stephen P. Robbins et Timothy A. Judge. Pearson 2014.

[Rocquigny] L’informatique de gestion, entre technique pure et outil de gestion.  Marie-Aline Roverato de Rocquigny, Université Paris-Dauphine, 2015. Basée principalement sur les archives du Cigref et la revue Informatique et Gestion. Disponible en ligne http://www.theses.fr/2015PA090045

[Rosé] https://vimeo.com/485053023?fbclid=IwAR2LzkDplcxHcsU-ReW_ptkBAK6iRDg0cihpk8VAi5DcRVORt1_pnKakroo

[Roxame] http://roxame.com/

[RPA_Wiki] https://fr.wikipedia.org/wiki/Automatisation_robotisée_des_processus

[Sacquet] Mettre en œuvre DevOps, par Alain Sacquet. Dunod 3eme édition 2020

[Scharre] Army of None: Autonomous Weapons and the Future of War, par  Paul Scharre (Norton 2019)

[Schumpeter]  https://fr.wikipedia.org/wiki/Destruction_cr%C3%A9atrice

[Scom] http://diccan.com/dicoport/AHDicnps.htm#Scom . Il a fonctionné jusqu’au milieu des années 1980.

[Seidel]  Autonomous Tools and Design. A Triple Loop Approach to Human-Machine Learning. Par Stefan Seidel, Nicholas Berente, Aron Lindberg, Kalle Lyytinen et Jeffrey Nickerson. Communications of the ACM, Janvier 2019.

[Shannon] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_de_Shannon_et_Weaver

[Shneiderman] https://aisel.aisnet.org/thci/vol12/iss3/1/

[Snow] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Deux_Cultures

[Sokal] Impostures intellectuelles, par Alan Sokal et jean Bricmont, Odile Jacob 1997

[Soriano] Un avenir pour le service public. Un nouvel Etat face à la vague écologique, numérique, démocratique. Odile Jacob 2020.

[Splunk] par exemple  https://www.splunk.com/en_us/solutions/devops-lifecycle.html

[Supiot]  https://gouvmeth.com/?MotsPers  et surtout https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Supiot

[Système] https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me

[Thom] Les modèles, pour quoi faire, par René Thom, congrès Afcet 1977 https://diccan.com/Thom.html

[Travel] L’automatisation est créatrice d’emploi. Par Xavier Travel. Le Monde 1/6/2021.

[USA]. Voir un relevé des titres de presse des derniers mois en(https://gouvmeth.com/?MotsPropr#USA

[Wikipedia] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cosyst%C3%A8me

[Wikipedia_Design] https://fr.wikipedia.org/wiki/Design_thinking

[Wikipedia_Devops] https://fr.wikipedia.org/wiki/Devops

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