Au premier semestre 2020, la pandémie du COVID-19 (Corona Virus Disease 2019) a divulgué deux mots, jusqu’alors peu fréquents dans nos conversations : confinement et résilience.
À tel point que la Lettre d’ADELI en fait le thème de ce numéro 120 de l’été 2020.
En protection contre la pandémie, de nombreux États ont pris une mesure radicale : le confinement des populations ; toutes les activités non indispensables à la survie de la société ont été arrêtées pendant deux mois ; les citoyens – à l’exception des personnels mobilisés – ont été contraints de rester chez eux.
Le traumatisme regroupe les conséquences d’une blessure appelée trauma. La lutte contre la pandémie du COVID-19 a combattu deux facteurs traumatisants, étroitement liés :
- une menace susceptible de contaminer chaque membre de notre entourage, voire d’entraîner une issue fatale pour les plus vulnérables ;
- un changement brutal de notre mode de vie, en limitant nos libertés fondamentales et en bridant notre convivialité.
Pour en limiter le traumatisme, les individus et les groupes sociaux ont développé une résistance appelée résilience.
Confinement
Confiner, c’est :
- dans un contexte juridique, emprisonner un condamné ou détenir préventivement un individu pour l’empêcher d’agir et de communiquer ou – plus rarement – pour le protéger ;
- dans un contexte conflictuel, détenir, en otage, une personne captive, en perspective d’une négociation : échange, chantage, rançon ;
- dans un contexte sanitaire, mettre des personnes infectées, ou présumées telles, en quarantaine pour éviter une contamination ;
- dans un contexte intellectuel, imposer les règles exclusives d’une idéologie, dans la retraite d’un mouvement intégriste.
Le confinement oblige un individu à demeurer dans un espace physique fermé et/ou à épouser la discipline d’une spiritualité.
Les mots synonymes de confinement : incarcération, internement, détention, réclusion, captivité, consignation, séquestration, isolement, quarantaine, expriment une privation de liberté de mouvement, ce qui donne, à ce mot, un caractère stressant.
Un autre mot, porteur de valeurs protectrices : sauvegarde, prévention, précaution, parade, maintien, défense, abri, sécurité, quiétude, sérénité… aurait eu un impact psychologique moins déprimant.
En aparté, notons l’existence d’un Confinement quantique : état de la matière observable lorsque le diamètre d’un matériau a la même valeur qu’une longueur d’onde ; ce qui en modifie les propriétés électroniques et optiques.
Résilience
La résilience caractérise la résistance d’un matériau aux chocs ; le fait de rebondir.
On mesure la résilience, par l’énergie absorbée lors du choc d’un mouton-pendule sur l’éprouvette d’un matériau. La résilience du matériau dépend de sa composition et de son traitement thermique. L’échelle de résilience des matériaux s’étend des plus fragiles : faïence, céramique, verre… aux plus résistants : métal, acier, alliages spéciaux.
Par extension, la résilience désigne, également, l’aptitude d’un système à supporter la dégradation de son environnement. Ainsi, la résilience migre du domaine de la physique des corps solides à celui de la psychologie.
Pendant un confinement imposé, chaque individu se trouve dans la position d’une éprouvette frappée de plein fouet. Cette blessure psychique provoque un traumatisme, combattu par le développement, instinctif ou volontaire, d’une résilience. Certes, cette résilience ne permet pas un retour à l’état initial qui précédait le choc, mais elle favorise l’acquisition de nouvelles ressources pour en atténuer les effets négatifs.
Restez à la maison
Les pouvoirs publics ont maintenu nos fonctions vitales. L’alimentation des foyers a été assurée par le maintien des accès aux sources d’approvisionnement. Le confort matériel des domiciles a été préservé par l’alimentation en énergie, en eau et en information et par l’enlèvement des ordures ménagères.
Les services sanitaires ont rempli leur mission professionnelle avec un grand dévouement.
Cette contrainte a été, globalement, bien respectée par les citoyens qui ont limité leurs sorties au strict nécessaire. Cependant, cette situation exceptionnelle a eu des incidences sur les comportements des individus, tant dans leur cadre résidentiel que dans leur environnement professionnel.
Ce confinement a développé différentes formes de résilience.
Résilience résidentielle
Les apports du confinement
En nous affranchissant de la pression de l’immédiat, le nouveau cadre de vie permet :
- de prendre du temps pour des activités à long terme : réfléchir, organiser, ranger, classer ;
- de séparer les besoins vitaux nécessaires à la survie et à l’épanouissement physique et moral, des autres besoins superflus, exhaussés par des campagnes publicitaires ;
- de retrouver d’autres formes de culture : lecture, visites virtuelles, spectacles enregistrés ;
- de renforcer des compétences pratiques dans de nouveaux domaines : couture (fabrication de masques), bricolage (travaux ménagers), cuisine (nourriture recherchée) ;
- d’exploiter les nouvelles technologies de communications numériques ;
- d’apprécier, provisoirement, un environnement moins exposé aux pollutions des activités professionnelles ;
- de resserrer des liens familiaux et amicaux en prenant, plus régulièrement, des nouvelles des personnes éloignées.
Les inconvénients du confinement
En réduisant nos déplacements physiques, le confinement :
- nuit aux libertés élémentaires, en prohibant certaines activités : déplacements, rencontres familiales et amicales, spectacles culturels, festifs et sportifs ;
- relâche les liens sociaux en privilégiant l’individualisme ;
- conditionne les citoyens par une information (presse, radio, télévision) exclusivement centrée sur un thème anxiogène ;
- développe les effets physiologiques néfastes de la sédentarité : manque d’exercices physiques, compensation alimentaire excessive ; d’où une perte musculaire et un gain de poids ;
- aggrave les inégalités entre les classes sociales :
- familles réunies / familles dispersées,
- espace confortable et alimentation complète / logement exigu surpeuplé et nourriture de subsistance,
- poursuite d’activités enrichissantes / objectif exclusif de survie.
Les conditions d’un strict confinement dans les étroites limites d’un domicile apparaissent très différentes selon que l’individu vit seul, en couple, en famille avec enfants ou en groupe communautaire plus étendu et selon le degré de poursuite de son activité professionnelle.
De nombreux individus ont spontanément développé des réactions dans leur zone d’autonomie préservée : nouveaux horaires, nouvelles activités, nouveaux modes de communication.
Résilience professionnelle
Le contexte
Le confinement a interrompu les principales activités économiques, culturelles, sociales. Les secteurs de la santé, de l’alimentation, des transports, de l’énergie, de la propreté ont continué à fonctionner. Les déplacements du domicile vers le lieu habituel de travail ont été strictement réglementés ; les secteurs tertiaires et quaternaires – y compris les établissements d’enseignement – ont exploité les outils numériques pour poursuivre leurs activités, en mode dégradé.
Le télétravail
ADELI avait mené, en 1998, une étude avec d’autres organismes sur le télétravail.
Le rapport intitulé TÉLERGoscope n’a jamais été publié, en raison d’un différend entre les partenaires.
Depuis lors, les techniques de télécommunication audio-visuelle se sont considérablement diversifiées pour permettre des collaborations efficaces entre acteurs géographiquement éloignés.
Le confinement de 2020 aura marqué une étape importante dans la banalisation du télétravail. Les acteurs du secteur tertiaire ont mis en œuvre les outils audio-visuels du télétravail : téléréunions, échanges collaboratifs de documents, afin de maintenir une activité collective.
Ce qui crée un clivage entre les professions manuelles liées à un poste de travail et les professions intellectuelles qui peuvent exercer leur activité autour d’un terminal mobile.
Les facteurs de résilience au confinement
Les différentes formes de la confiance et l’humour se révèlent être des moyens efficaces pour lutter contre la peur et l’ennui.
La confiance
Confiance envers les autorités
Cette situation exceptionnelle a conduit les gouvernements des États à prendre des décisions drastiques en fonction des informations relayées, des avis quelquefois divergents des experts médicaux, économiques, financiers.
Il était bien délicat, a priori, de choisir, à coup sûr, les mesures (directives, intensité, calendrier) qui se révèleraient à terme, les plus pertinentes. Mais, manifester de vives inquiétudes quant à l’efficacité des mesures n’aurait fait qu’accroître un stress. Plus par sentiment que par raison, les citoyens sont enclins de faire confiance.
Confiance envers les autres
Dans sa sphère de confinement avec ses proches : conjoint, enfants, collègues, il convient d’organiser une nouvelle répartition des tâches en en incorporant de nouvelles : éducation des enfants et maîtrise des outils numériques.
Les personnes confinées, dans un même espace réduit, ont intérêt à se faire mutuellement confiance – et à faire aussi confiance à leurs interlocuteurs numériques – pour conserver leur sérénité et éviter les affrontements.
Confiance en soi
Se retrouver seul pour résoudre des problèmes qui étaient sous-traités à des professionnels, amène à s’impliquer dans de nouvelles activités.
Ces petits défis ont révélé un renforcement de la confiance en soi dans de nouveaux domaines.
L’humour
Chaque individu, conditionné par sa position sociale et sa culture, a une attitude personnelle face à l’humour ; certains le rejettent en le considérant comme une réaction puérile.
Cependant, l’homme dispose d’une capacité de dérision qui est une soupape pour évacuer une partie de son stress. Rire de sa situation est une réaction libératrice.
L’humour est une philosophie de partage qui devrait amplifier les réactions ; le sourire et le rire étant communicatifs.
Pour ne donner qu’un exemple – sans passer en revue les caricatures et les anecdotes qui ont encombré les réseaux sociaux – nous nous bornerons à citer quelques néologismes qui désignent de nouveaux concepts :
- S’enconfiner : accepter le confinement, s’y réfugier, voire s’y complaire ;
- Interdi : chaque jour de la semaine lorsque les déplacements sont exclus ;
- Solidaritude ; renforcement de la solidarité dans la solitude individuelle ;
- Immobésité : conséquence de l’absence d’activités physiques ;
- Vodkaphones, whiskypes… que l’on consomme au zoombar ;
- Mascarade : péripéties de la distribution de masques ;
- Résilience secondaire : lieu de confinement des citadins exfiltrés.
Le syndrome de la cabane
Certains confinés ont subi le syndrome de la cabane, cousin du syndrome de Stockholm.
La cabane évoque le refuge des trappeurs nord-américains, coupés du monde pendant la période de chasse. Certains trappeurs éprouvaient une grande peur à l’idée du retour à une vie normale.
Le départ du confinement a été sifflé de façon impérative par les autorités, tandis que les modalités du déconfinement – en dehors du respect de quelques règles – sont laissées à la décision de l’individu, libre de son calendrier et de son intensité. Le constant rappel des précautions à prendre pour éviter un danger de contamination incite certains individus à rester douillettement confinés dans leurs habitudes au lieu d’affronter les difficultés d’une vie externe trop longtemps négligée.
Épilogue
Sans remonter jusqu’à la grippe espagnole qui avait fait plusieurs dizaines de millions de victimes, il y a un siècle, les plus anciens d’entre nous évoquent deux épidémies grippales, vécues dans leur jeunesse ; qui auraient fait, chacune, un million de victimes dans le monde : la grippe asiatique (1956-58) et la grippe de Hong Kong (1968-1970).
La lecture des revues de presse de l’époque nous surprend par la faible place accordée à ces tragiques événements, en comparaison des autres actualités : guerres en Algérie et au Vietnam, guerre froide, conquêtes spatiales, agitations étudiantes…
Il y a un demi-siècle, la durée de vie était inférieure d’une bonne vingtaine d’années à la nôtre, et la plupart des victimes avaient déjà dépassé la longévité moyenne ; ce que constituait au regard de certains commentateurs, une raison suffisante de décès.
Dans quelques mois, le souvenir de cette période exceptionnelle se sera, nous l’espérons, estompé. La menace épidémique se sera dissipée ; il ne nous restera plus qu’à en gérer les très lourdes séquelles économiques et sociales.
Cependant, nous garderons la mémoire de ceux qui nous ont prématurément quittés, à l’issue d’une infection fatale.